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L'Anachronique Créancé devant

mars 2012 | Le Matricule des Anges n°131

Olivier, garde champêtre, a emmené en forêt Moscou, un beau chien, un setter.
- Vaillant, dit-il. Du nez, intelligent… Il ne manque pas d’humour. Pour un peu, il clignerait de l’œil.

 L’orang-outang de Bornéo comprend le malaisien, et même le javanais. Mais il se tait pour ne pas travailler.

 Moscou ferait un bon compagnon aussi. Malheureusement, il n’est pas créancé. Ni bécasse ni rien…

 Créancé ?

 Le chien joyeux s’ébat jusqu’au moment où tu lui attaches son collier avec la clochette. Là il se transforme en professionnel, chacun sa spécialité, qu’il poursuivra coûte que coûte. On dit qu’il est « créancé ». Bécasse, canard, sanglier…
« Créancé printemps », pourquoi pas ? Créancé course dans la garrigue. Créancé dévaler la combe à fond de train. Créancé vent d’ouest plein pot quand on parvient au sommet de la dune, et que le sable semble déjà tiède.
Le mois noir de février, « qui tue la vieille et le berger », est passé. Voilà qu’en nous montent une tension, une attente, une envie. Les forces reviennent, vers quoi convergent-elles ? Nous étirons plus souvent le cou en direction du ciel. Ça pousse en nous, ça craque.
On prévoit des appels d’air, des aspirations. Dans les salles du lycée, les élèves demandent « M’sieur, on peut ouvrir la fenêtre ? » Le prof acquiesce à contrecœur, sachant qu’une légère brise, la lumière éclatante et l’ombre verte qui rôde autour des saules vont lui voler la vedette. Si les rêves pouvaient prendre corps, en tournant la poignée, en tirant le battant, il déclencherait la sortie des Folies Bergère.
Chaque disciple songe à son sort inhumain – on ne saurait lui donner tort. Quelques-uns méditent de s’enfuir, la grande évasion, la liberté totale ou crever à petit feu. La vie, sous leurs yeux, « Ce n’est pas ça ou mourir, c’est ça et mourir ». Ils connaissent par cœur des poèmes et savent de qui c’est. Deux ou trois filles et garçons, seulement, par classe. On dit qu’à Paris davantage.
Leurs notes importent peu, ils ont le sentiment d’être déjà devant, ailleurs, loin. Quand le monde sera à eux, c’en sera fini des mégères à tablier, des pères bières et moi je, je rêve d’une belle bagnole pour me rendre au supermarché. Du balai, la poussière ! Une autre sorte d’humain est en vue, certainement pas prête à défendre cher son napperon au crochet – attirée par le soleil, les ports, et les filles les garçons, à moins que ce soit l’inverse. La route les aimante, aussi les roulottes, les embarquements. Il leur arrive de dormir en guenilles à la belle étoile avec, pour oreiller, un livre fripé. Deux ou trois mômes éclairés, seulement, par classe, des purs à qui on assène sans répit que « Tu verras plus tard, la vie n’est pas une partie de plaisir. » Non : un délice de chaque instant, qu’ils soient ici rassurés, pourvu qu’ils continuent de se rebeller, de ne pas s’intégrer. Oui, la vie peut être fête permanente, c’est terminé pour nous après. Rock’n roll.
Eux apprivoisent la solitude, la caressent. À mesure, cependant, que se desserre le licol autour de leur cou, les voilà moins clairsemés. Des refuges, tel garage désaffecté, les concerts… D’autres, de villes voisines, les rejoignent, et bientôt de pays voisins. On dirait un feu de camp dans le désert : de se savoir si rares et peu conformes, ils se touchent, ils s’embrassent et boivent le même thé. On danse à la lueur des flammes pour honorer l’esprit.
Ils s’apprêtent aux sarcasmes, ça va, ils ont l’habitude. Le nombre de fois qu’on a voulu leur mordre dedans. Les empêcher d’exister, jusqu’à la colère… Ils auront des patrons qu’ils abandonneront avec satisfaction. Mangeront du pain rassis plutôt que de séduire.
Qu’ils s’attendent à être éclaboussés par les belles bagnoles. À voyager clandestinement. À lire Jacques Lacarrière en Grèce. À se baigner en janvier aux Caraïbes. À tomber amoureux d’un sculpteur fou. À ramasser des châtaignes en Provence, du raisin en Alsace, la monnaie au-dessus des tréteaux.

 Qu’est-ce qu’elle (ou il) devient ? demande-t-on aux parents, incapables de répondre.
Elle devient pourtant une femme, lui un homme. À force de rencontres, d’endroits, de situations inédites, ils acquièrent un savoir-vivre, une patine. Les découvertes s’accumulent sans que la curiosité s’altère. Ils ne voulaient pas de carrière, une occupation les a saisis. À leur tour d’avoir des enfants qui…
Oui encore, les cigales existent. Elles chantent continûment. Et si ce n’est pas la même, c’est une autre, c’est sa fille. Tandis que les mégères à tablier, les pères bières n’ont pas disparu, mais se sont reproduits !
Ne vous laissez pas mordre par les fourmis ! Vous jouerez quand vous voudrez, dans le printemps jusqu’aux genoux.
On s’est rendu compte que le trajet de l’autocar scolaire, durant trois quarts d’heure, pourrait profiter d’une lecture à voix haute. On en parle à Simon, seize ans.

 Je ne voudrais pas être le lecteur. Il va se faire lyncher.

 Qu’est-ce que tu aimerais entendre, comme histoire, si le lecteur demeurait en vie ?

 Y a pas un livre qui parle de lyncher le conducteur et de partir en Espagne ?

Eric Holder

Créancé devant
Le Matricule des Anges n°131 , mars 2012.
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