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Domaine étranger Lignes de fuite

mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123 | par Marta Krol

Balayant l’Ouest américain, Chinook de Pete Fromm sonde l’air de rien la grandeur et les faiblesses des existences ordinaires.

Voilà un recueil qui nous rappelle, dans la meilleure veine des grands prosateurs comme Hemingway, Tchekhov ou Maupassant, la haute valeur de la fiction. Non pas divertissement ou fantaisie, mais au contraire exploration nécessairement fragmentaire et subjective de la multitude des formes que peut prendre, de manière lente ou soudaine, la vie humaine. Sous la plume de Pete Fromm (né en 1958 dans le Wisconsin, on lui doit Indian Creek), l’existence du lecteur est ainsi portée au centuple, tant il est vrai que l’on s’identifie aisément à ses personnages ordinaires si semblables à nous-mêmes, avec leur lot d’inévitable routine, de difficultés matérielles, relations familiales, avec leurs luttes quotidiennes usantes et si peu glorieuses (« on allait juste faire un tour en voiture pour échapper au vide et au silence de la maison pendant une journée »). Et pourtant, peut s’y lover un noyau de noblesse et de sens que l’écriture parvient à donner à voir, qu’elle dégage des couches opaques de la banalité afin de nous faire réaliser où, en vérité, se tient ce à quoi nous tenons le plus (« Elle rentrait des champs avec de la bouse plein les bottes et des graines dans sa montagne de cheveux châtain doré et je n’arrivais pas à croire à ma chance »).
Non pas qu’il s’agisse, dans chacune de ces histoires simples et plastiques situées dans l’Ouest américain (Wyoming, Wisconsin, Montana…), d’une révélation fracassante ; à propos d’un mari abandonné par sa femme, une mère de famille aux prises avec la pauvreté, une mère en échec revenue auprès de son frère jumeau, rien n’en est jamais affirmé sur un ton définitif ou péremptoire. Au contraire, une technique efficace (et épatante) de l’auteur, évitant les éclairages directs sur des sujets facilement indigents, consiste à prétexter un motif apparent mis en avant (les casques portés par une famille d’un enfant atteint de mongolisme, le sauvetage en mer, le voisin tueur de serpents) pour développer en son ombre, symbole ou déplacement, l’objet véritable de la nouvelle (l’angoisse de licenciement, l’usure du couple, le projet d’enfant), dissimulé pour être plus prégnant.
Si bien que s’y égrènent, rendues avec précision et retenue, des bribes de ce qui fait notre condition d’être humain, avec nos innombrables faiblesses, mais aussi avec nos plus discrètes grandeurs. Dont l’une semble particulièrement importante : la capacité de repartir. Nombreuses sont les nouvelles qui s’achèvent sur une idée de départ : pour ne pas abandonner, pour rejoindre celle ou celui qui a choisi de s’en aller, pour tenter sa chance, les protagonistes de Chinook regardent souvent, au moment où on se sépare d’eux, un horizon ouvert par-delà le volant de leur pick-up.
Cependant, l’éloge de la fuite n’est pas le propos de l’auteur ; mais bien davantage la problématique de la fuite, de que faire de l’inquiétude plus ou moins patente au fond de chacun de savoir si on ne passe pas, dans notre ici et maintenant, à côté de notre vie, comme Jess dans la nouvelle donnant son titre au livre, qui « ne réussissait qu’à grand-peine à empêcher quelque chose de prendre feu à l’intérieur d’elle ». De que faire de nos pulsions de détruire, qu’habilement nous déguisons déjà en parenthèse innocente, mais où il faut savoir identifier le geste suicidaire « un peu comme au volant, quand un gros semi-remorque arrive sur la file d’en face et que vous vous dites : et si je déviais juste un peu pour qu’il me fonce dessus ? ». Et de sentir ce pour quoi rester, durer nonobstant la corrosion qui guette, rester dans son pauvre mobil-home auprès de sa petite famille, rester avec sa femme et son fils parce que le kidnapper plus tard n’amènera à rien et que le manque sera trop douloureux (« j’avais une vie, avant »), tenir bon face au désir du neuf à cause de ce qui est déjà construit et dont l’habitude – quelquefois pulvérisée par une menace de catastrophe qui rétablit les grandeurs en jeu – oblitère la valeur réelle.

Marta Krol

Chinook
Pete Fromm
Traduit de l’américain par Marc Amfreville
Gallmeister, 225 pages, 22,20

Lignes de fuite Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°123 , mai 2011.
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