Le roman réaliste américain a le même goût des détails que le roman réaliste français, à ceci près que les intérêts se portent sur des éléments nouveaux : comment je pisse, comment je vomis, comment ma mère est devenue folle, mes chtouilles et les branlées qui m’ont formé. Dieu bénisse l’Amérique est le troisième roman d’une trilogie narrant la vie de Max Zajack, dont le parcours s’achève par le début, sa douce enfance dans une famille sans cesse menacée par la folie, le désespoir et les boulots trop durs. Zajack est né de parents immigrés polonais, c’est-à-dire pauvres, à Trenton (New Jersey), joyeuse petite ville américaine que l’on voit vivre par transparence – Max va à l’école chez les Sœurs, Max accompagne sa mère qui fait des ménages chez les riches, Max paie de sa force de travail chez un négrier, Max… –, Trenton dont le site internet officiel répond encore aujourd’hui, dans la section « questions le plus souvent posées », à l’interrogation suivante : « How do I get a street sign repaired after it has been vandalized ? ». Dans les années 50 et 60, l’immigration blanche se faisait un point d’honneur de se distinguer des moins bien nantis, les noirs : « Dans (leurs) taudis, j’ai découvert le vrai désespoir. Il suffisait de regarder tout ce qui traînait : la vaisselle sale, les cadavres de bouteilles… les tas de mégots… les aiguilles et les cuillères… les pièges à rat avec leurs appâts… Je voyais tout ça dans mon propre quartier, mais les habitants d’Iowa Avenue avaient encore quelques illusions. Je ne sais pas ce qui est le pire, se bercer de chimères ou ne plus en avoir. » Mais le racisme ne sauve pas et la famille de Max le malingre se délite à mesure qu’il grandit. Écrit à la première personne, le roman cultive l’ambiguïté : photos d’ouverture qui « font vrai », ville natale que l’auteur partage avec le narrateur ; mais si on est gêné au début par cette apparente proximité – ou par quelques éventuelles bizarreries de traduction – le roman l’emporte par son choix classique de l’union du fond et de la forme : lourd par moments, comique par l’absurde, lucide et clair.
Gilles Magniont
Dieu bénisse l’Amérique
Mark Safranko
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Karine Lalechère,
13e Note éditions, 430 pages, 19 €
Domaine étranger Dieu bénisse l’Amérique
mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123
| par
Gilles Magniont
Un livre
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°123
, mai 2011.