Denses mais alertes, touffues sans être confuses, analytiques et poétiques à la fois, ces 572 pages redonnent au roman historique sa noblesse et sa pertinence. Saluons donc cette entreprise éditoriale : de la précision de la traduction à la qualité de la typographie, tout concourt au plaisir de cette découverte. Drago Jancar est slovène (deux de ses romans ont naguère été publiés par L’Esprit des péninsules) : sans doute cette origine a-t-elle son importance puisque c’est à la découverte d’une autre Europe que nous partons, l’Europe centrale de la Contre-réforme, celle du croissant baroque. Nous sommes dans le monde et l’époque de Candide ou de Barry Lyndon (le picaresque arriviste de Thackeray et de Kubrick) : la guerre de Sept Ans (1756-1763) fait rage, mettant aux prises l’Autriche et la Prusse, puis leurs alliés respectifs. Katarina, jeune fille de bonne famille bourgeoise, à l’imagination fertile, à la foi naïve et au corps intact, quitte son village de Carniole (région proche de Ljubljana) : irrépressible, sa volonté d’échapper à ce monde trop étroit l’entraîne à la suite des pèlerins qui se rendent à Kelmoraïn, ainsi que les Slovènes désignent Köln am Rhein, où les attendent « la chaîne d’or » et « le reliquaire merveilleux » des rois mages ! Le voyage sera lent, semé d’épreuves - et de rencontres. Katerina retrouvera « le paon » - le fier baron, capitaine des armées impériales, pour lequel travaillait son père et dont elle rêva quelque temps d’éveiller le désir - mais surtout s’éprendra du jésuite défroqué Simon Lovrenc. Né dans cette même Carniole encore fruste et presque médiévale, il est devenu, par le savoir et l’obéissance imposée à son ordre, un de ceux qui, au Paraguay, tentèrent d’inventer un autre Paradis. Nous suivons avec attention l’évocation des aléas du pèlerinage, la peinture des rustres ou moins rustres, fanatiques et pourtant pécheurs, qui composent ce « troupeau chaud et merdeux », nous découvrons leur foi mêlée de doute, en ces temps où les Lumières peinent à vaincre l’obscurité… Mais les plus belles pages sont sans doute celles où nous découvrons ces « réductions » jésuites : là-bas les guaranis évangélisés apprennent à cultiver leur terre rouge, chantent en latin des hymnes à Dieu, sculptent des saints et bâtissent des cathédrales – avant que la soldatesque portugaise ne vienne détruire ce rêve et installer l’esclavage atroce.
Thierry Cecille
Katarina, la paon et le Jésuite
Drago Jancar
Traduit du slovène par Antonia Bernard
Passage du Nord-Ouest, 572 pages, 24 €
Domaine étranger Katarina
novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108
| par
Thierry Cecille
Un livre
Katarina
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°108
, novembre 2009.