Lorsque le roman s’ouvre – qui a la forme d’un Journal et en imite la liberté, avec une écriture tantôt simplement descriptive, tantôt plus lyrique – Nieve est une petite fille. Sa mère est remariée à Fausto, un beau Suédois, mais le père de l’enfant, alcoolique, instable, et encore obsédé par ex-épouse, reprend chez lui la fillette, du moins pour un temps. Nieve passe ainsi son enfance tiraillée entre ce père qui la laisse affamée et la frappe lorsqu’il réapparaît, et une mère un peu aléatoire quoique aimante, qui se débat entre sa pauvreté, sa foi révolutionnaire, sa vie affective et sa résistance contre la dictature. Consignées régulièrement, les réflexions de la partie « Journal d’enfance » montrent en Nieve une petite personne butée dans son désir de vivre, encaissant la solitude, le déchirement entre ses deux parents, et le sentiment tenace d’être différente, avec une même résistance presque placide : vue à hauteur d’enfant, cette existence de victime est racontée sans apitoiement. La seconde partie du Journal, couvrant les années 80, est plus précise sur la réalité cubaine et les dérives d’un pouvoir autoritaire. Nieve est toujours lucide, avec une forme d’amertume désabusée - ce qui n’exclut pas deux rencontres amoureuses : l’une avec Osvaldo, un artiste réputé et occidentalisé, et Antonio, un photographe et opposant au régime. La passion, la sexualité : pour la jeune femme, autant d’escapades intimes, jamais acquises, jamais installées. Tout le monde s’en va, c’est le constat, résigné et amer, de la jeune diariste. Et pour ceux qui restent : « rien ne change et tout continue. Je regarde les gens et les gens regardent au loin, nous sommes un mécanisme compact qui marche dans la ville enveloppée de sel. »
Tout le monde s’en va de Wendy Guerra
Traduit de l’espagnol (Cuba) par Marianne Millon, Stock, 279 pages, 19 €
Domaine étranger Une jeunesse cubaine
mai 2008 | Le Matricule des Anges n°93
| par
Delphine Descaves
Un livre
Une jeunesse cubaine
Par
Delphine Descaves
Le Matricule des Anges n°93
, mai 2008.