Comment trouver encore à vivre lorsque l’on a perdu sa mère ? Lorsqu’il ne reste d’elle tout au plus qu’une photo, datant de ses jeunes années, sur laquelle d’autres la trouvent très belle, mais qui la montre telle qu’on ne l’a jamais connue ? De quels mots peupler ce vide que sa disparition ouvre alors sous chaque pas ?
C’est moins au deuil qu’à l’absence que Ferdinando Camon (né en 1935) s’attaque dans Apothéose. Pour maintenir un contact avec celle qui n’est plus, pour la garder en vie ne serait-ce que dans ses pensées, il faut harceler ses propres souvenirs, y découvrir ce qui témoigne de sa présence, à commencer par des détails, de ceux qui font qu’un être humain est toujours à nul autre semblable : sa façon bien à elle de manger la polenta, de prier (avec les deux mains bizarrement jointes), ou son attachement excessif au travail, cette fidélité presque sacrée au labeur, poussée jusqu’à l’extrême limite de ses forces… Au fil des pages, Elena (tel est son prénom) revient colorer cette Italie rurale, pauvre et humble - probablement la province de Padoue, dont l’auteur est originaire, qui paraît avoir été arrachée à une époque révolue (quand il n’y avait encore rien à acheter). Et cependant que le mari érige de ses propres mains un autel à la mémoire de l’épouse, le fils confectionne un « autel de mots », par lequel il supplie la mère « d’arrêter de mourir ».
Publié en 1978, Apothéose est un livre court, car conçu comme une épigraphe, écrit sans pathos, sans emphases commémoratives, sans cette lourdeur qui est le propre de l’élégie comme du thrène. Un livre que la plume de Camon parvient à rendre beau, à force de sobriété.
Apothéose de Ferdinando Camon
Traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro et Pierre Lespine, Gallimard, L’Imaginaire, 96 pages, 12 €
Poches Au nom de la mère
mai 2008 | Le Matricule des Anges n°93
| par
Didier Garcia
Un livre
Au nom de la mère
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°93
, mai 2008.