Rarement, ces derniers temps, jeune romancière fit autant l’unanimité, et aussi vite. À 32 ans, Céline Curiol peut être fière. S’il est rare de voir Paul Auster en personne saluer un auteur, et qui plus est une Française, le phénomène est plus encore exceptionnel s’agissant d’un premier roman. L’immédiate reconnaissance, en 2004, d’Une voix sans issue, aurait pu déstabiliser cette Lyonnaise bourlingueuse expatriée à New York. Il fallait assurer pour ce deuxième livre, ne pas décevoir. Elle n’a pas déçu, et signe cette fois un roman d’anticipation dense et ambitieux. Engagé par un organisme international, « l’Institution », son personnage est chargé de rédiger des rapports, absolument neutres de ton, objectifs et factuels, sur l’actualité géopolitique. « Appliqué et consciencieux » jusqu’à la maniaquerie, notre homme est « un employé modèle », considérant avec placidité les mille petits événements de son travail. Céline Curiol dit avoir trouvé le sujet de Permission lors d’une nuit passée dans l’immeuble des Nations Unies à New York. C’est ainsi que la bureaucratie, ses protocoles et ses procédures, l’ont inspirée. En plus d’une réflexion kafkaïenne sur le conditionnement administratif, sorte de servitude volontaire moderne, ce roman traite aussi et surtout de la lecture comme subversion. Car en ces lieux, lire est prohibé. Au sein de l’Institution on ne trouve en effet aucun livre, et surtout pas de romans, tous interdits, tous « nocifs » dit le règlement. Vient-il, sous l’influence d’un collègue réfractaire, à en lire un, et c’est alors sa liberté et sa lucidité qui sont en jeu. « L’imagination creuse des tunnels, des conduits, des labyrinthes complexes dans l’univers des possibles ». Une leçon de subversion appliquée que donne là Céline Curiol.
Permission de Céline Curiol
Actes Sud, 253 pages, 19 €
Domaine français Fiction au travail
mai 2007 | Le Matricule des Anges n°83
| par
Anthony Dufraisse
Un livre
Fiction au travail
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°83
, mai 2007.