William Cliff, les errances d'un innocent
À la page 69 de son nouveau recueil de poésie, William Cliff a disposé le poème « Radical » qui éclaire une bonne partie du recueil : « Où est-tu Radical ? où est ton corps splendide ?/ (…) J’aimerais Radical te voir comme je t’aime/ le front bombé de vertu et toujours allant/ pieds nus sur le chemin rocailleux du poème// mais ça n’existe plus n’est-ce pas cet élan/ n’a plus court Radical mais n’es-tu pas moi-même ?/ puisque je t’ai nommé n’es-tu pas mon amant ? » La chute schizophrénique fait vœu d’autocritique. L’auteur d’Immense existence n’est plus celui de Marcher au charbon, le livre le plus énergique de Cliff. L’élan s’est un peu éteint, pas autant cependant que ce poème tendrait à le dire. Ce constat, qui donne au livre une gravité, fait écho au refus de la vieillesse qui conduisit Ferrater au suicide. Il mêle, dans sa chute, l’exigence poétique à l’amour, deux faces d’un même miroir où se contemple le poète.
Immense existence, en signant un retour chez Gallimard, semble constituer comme une anthologie de l’œuvre de Cliff. On y retrouve des poèmes de l’errance, des voyages. On embarque à nouveau sur Talavéra le cargo qui conduisait à America. Mais on lit aussi des poèmes d’un réalisme manifeste : « dans la rue Loïza on voit la vie réelle/ les drogués affalés sur le sol une vieille/ traînant péniblement ses slaches avancer/ et frapper à la vitre d’un magasin vide ». On y retrouve aussi l’amour charnel : « alors je l’embrassais ma bouche sur la sienne/ déposait les baisers les plus doux je prenais/ contre mon corps son corps si lisse et si tranquille/ je prenais dans ma bouche ses seins et son sexe ». Écrits sur plusieurs années, et rassemblés ici comme par affinité, les poèmes dressent donc un portrait de toute l’œuvre, comme s’ils en étaient une rétrospective inédite. De toute l’œuvre moins les deux premiers livres, justement comme si l’ « élan » évoqué page 69 n’avait duré que le temps d’une naissance.
Venu habiter chez son frère villa Astrid, Cliff semble déposer les armes de la révolte : « à la villa Astrid j’aurai de gros chagrins/ je sentirai l’horreur l’oppression la détresse/ certes j’y inviterai à souper Oreste/ Serge Coutances Jacques Izoard car la gare// n’est pas trop loin (seulement un quart d’heure à pied)/ à la villa Astrid je prierai Dieu de faire/ que les hommes sur terre apaisent leur colère ». Gembloux, lieu de l’enfance et de la pénitence a vu partir maintes fois un voyageur écrivain. Mais ici, Cliff semble envisager un retrait (quasi religieux) ; le recueil ressemble alors à ses papiers qu’on rassemble au moment de quitter les siens. Si l’on sourit ici à l’évocation d’un amant ivre (« pourtant un jour j’ai eu son sexe dans ma bouche/ son « sexe » c’est trop dire car il est si mince/ qu’on le prendrait pour celui d’un malingre singe »), le poème de la mère, très beau, et ses moments de pudique confession, jettent sur l’ensemble une gravité que le jeu des rimes (laissées parfois en friches) ne masque...