La lecture du nouveau roman d’Hubert Haddad est très troublante. Imaginez une histoire d’aujourd’hui, de ce vingtième siècle finissant, où tous les personnages parlent une langue du XIXe, où par exemple, un ancien loup de mer peut « rallumer sa bouffarde » et laisser ainsi la flamme du briquet illuminer « sa face boucannée ». Nous sommes à l’auberge du Croc-Moucheté, le vieux loup de mer, qui manie l’invective aussi bien qu’il boit, se fait appeler « Penitent, Georges-Matthew » et il fait fuir les autres clients potentiels. A l’étage, le propriétaire de l’auberge se meurt. Avant de quitter ce monde, le malade appelle son fils pour lui confier que son plus grand plaisir sera d’achever la lecture du seul livre qu’il aie jamais lu L’Ile au trésor de Stevenson. Ce sera la dernière entrevue du jeune Rhys avec son père mais celui-ci aura eu le temps de lui laisser le plus bel héritage : le roman de Stevenson aux pages toutes cornées. Rhys va lire et décorner chacune des pages du livre, s’ouvrant ainsi à un monde fantastique, refaisant le parcours initiatique du père. Ce sont là des pages très émouvantes, merveilleuses à la fois d’intelligence et de sensibilité. Tout s’agence alors autour du roman de Stevenson dont les personnages semblent subitement être sortis pour venir peupler la vie du jeune Rhys. La mort du père, puis celle du vieux loup de mer, l’arrivée d’inquiétants personnages, la carte mystérieuse, tout concourt à faire du roman une nouvelle Ile au trésor. Rhys embarquera à bord de L’Hispanolia, le trois mâts Stevensonien, il luttera contre la tempête et contre les pirates et Hubert Haddad, avec une précision de maniaque, retrouve chaque manœuvre, chaque terme maritime et les fait sonner comme un immense hommage à un maître littéraire, un hommage à l’enfance et à l’incomparable pouvoir de la littérature. La réussite eût été totale s’il n’y avait eu pléthrore de symbolisme et de détails lorsque, entre grâce et damnation, entre délire et naufrage, les marins de L’Hispanolia luttent
Meurtre sur l’Ile
des marins fidèles
Hubert Haddad
Zulma
256 pages, 120 FF
Domaine français Hubert Stevenson
octobre 1994 | Le Matricule des Anges n°9
| par
Thierry Guichard
Un livre
Hubert Stevenson
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°9
, octobre 1994.