J’ai peu de choses à dire. Je suis venu jusqu’ici, j’ai traversé le monde pour une phrase. Papa, je t’aime. Ce sont les seuls mots qui restent mais j’espère échapper au grotesque de les prononcer. » Guiseppe le fils ne prononcera pas ces mots-là. Mais Guillaume Le Touze, dans son deuxième roman Comme ton père ne les dit pas mais les sous-entend, ces mots d’amour, leur donne une apparence fantasmatique, presque schématique. Ce roman a pour essence un désir profond, enfoui, un scénario que tous nous avons élaboré un soir, une nuit, larme à l’œil, lèvres tremblantes : être à l’agonie, rassembler ses parents dispersés par la vie -la vie disperse toujours tout- et enfin entrer en fusion dans l’indicible amour familial. Dire à l’article de la mort ce que l’on n’ose murmurer lorsque l’immense avenir nous inhibe. Les ultimes retrouvailles avant la séparation définitive. Bref, une histoire universelle.
Cette histoire (d’amour) est construite avec plusieurs voix, à l’intersection des discours des différents narrateurs, protagonistes dans une même famille. D’abord Paul, le père, qui s’exprime à travers une lettre adressée à Jacques son amant, lettre qui ne sera jamais envoyée. Il est intéressant de noter que Paul était déjà le prénom du fils dans le premier roman de Le Touze Comme tu as changé.
L’analogie -Jacques est également présent dans les deux ouvrages- et l’étrange mimétisme des deux titres portent à affirmer qu’au-delà même d’un simple lien de parenté, il s’agit au fond du même livre, de la même quête mais cette fois passés au prisme narratif, renvoyés sous différentes facettes.
Ensuite Emma (l’aïeule ?), par le biais de son journal, qui, peut-être, tente d’ancrer dans le réel le lieu mythique choisi pour décor : une série de grottes situées au fin fond de l’Afrique du Sud. Le journal d’Emma la procréatrice fait référence à un passé vraisemblablement imaginaire où la famille était unie, indissociable dans l’amour sans faille de Dieu, dans la parole évangélique et dans la mission. La famille éclatée retourne donc à son point de départ : la grotte, comme symbole évident du ventre de la mère.
Guiseppe, le fils, est atteint d’une maladie dégénératrice et incurable, incapable de se mouvoir autrement qu’en fauteuil roulant, pouvant à peine respirer. Pur esprit donc dans ce corps qui s’évapore, prêt à se transformer en pur amour. Enfin Claudia, la mère, bourgeoise presque heureuse à qui il manque pourtant l’essentiel : sa famille. La construction en étoile dont les branches se rejoignent en son centre pour une fin hors-champ, et somme toute un happy-end malgré la mort certaine de Guiseppe.
Aucun pathos dans ce roman, le mélo était pourtant à portée de plume mais Le Touze se sert d’un autre encrier. Le style plutôt minimaliste de son premier roman s’est étoffé un peu. La phrase se fait plus enveloppante, plus envoûtante. D’une fluidité absolue, son écriture fait dans la douceur comme un voile de sérénité dans la violence contenue en permanence des sentiments : dire à son père je t’aime et mourir, dire à son fils je t’aime et revivre, serrer sa mère sur son cœur.
Alors ? Livre parfaitement maîtrisé, on se prend à regretter l’absence d’aspérité qui blesse, le défaut qui ensanglante. Guillaume Le Touze a vingt-six ans, il écrit avec réserve une souffrance intime. On a envie qu’il se mette à hurler.
Comme ton père
Guillaume Le Touze
Editions de l’Olivier
219 pages, 99 FF
Domaine français Le père, le fils et le Touze
octobre 1994 | Le Matricule des Anges n°9
| par
Alex Besnainou
Avec son deuxième roman, Guillaume Le Touze poursuit la quête du père en l’étendant à l’ensemble de la famille. Recherche de l’absolu.
Un livre
Le père, le fils et le Touze
Par
Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°9
, octobre 1994.