La rédaction Gilles Magniont
Articles
Ce qui ne passe pas
La Série Noire réédite Brouillard sur Mannheim, très intelligente investigation au bord du Rhin et au cœur de l’Histoire.
Alors professeur de droit public, Bernhard Schlink publie en 1987 son premier roman, écrit en collaboration avec son ami traducteur Walter Popp : Selbs justiz au titre ambigu – on peut entendre « faire justice soi-même » aussi bien que « la justice de Selb ». Selb, à savoir Gerhard Selb, « le charme éventé du vieil homme », 68 ans, ex-procureur reconverti détective privé : ici, dans le premier volet de la trilogie que Schlink lui consacre, à Mannheim, au sud-ouest de l’Allemagne, il enquête sur le piratage informatique d’une grande entreprise chimique, cette RCW dont le rythme de...
Traits sur la ville
Récit du premier festival du dessin d’Arles, où se sont croisés expositions, rencontres, spectacles et films. De quoi déployer généreusement tous les langages des dessinateurs, et mettre leurs figures à notre portée.
On ne s’en aperçoit que peu à peu, au fil des expositions : les visiteurs regardent les dessins de très près, ne tournent pas autour avec déférence, ne se tiennent pas à distance respectueuse. Bien au contraire, les voilà qui quasiment collent leur nez aux œuvres exposées, froncent le sourcil, ajustent leurs lunettes et puis montrent du doigt un détail à leur voisin, comme lorsqu’il...
Couleur de sang
Autour d’Horace McCoy et de ses Romans noirs, un épais volume donne à voir la brutalité du système social et le détraquement des systèmes nerveux.
Sur un exemplaire de Gatsby le magnifique, Fitzgerald – né quelques mois avant McCoy – avait mirlitonné cette dédicace : « De Scott Fitzgerald/(Un prophète du malheur)/ Pour Horace McCoy/ (Pas un héraut du bonheur) ». Pour Horace, ce fut en tout cas, entre 1897 et 1955, une vie américaine telle qu’on se la figure, et plus encore : enfant misérable, fringales d’autodidacte, boulots variés...
La mort et Cavanna
Le Dernier qui restera se tapera toutes les veuves et Stop-crève : des titres qui claquent pour deux recueils d’articles finement édités par Wombat.
La première nécrologie énonce les règles du Trompe-la-Mort : « Ça se joue avec une photo de classe (…). Alors voilà, chaque fois qu’un de vos vieux copains d’école meurt, vous prenez de l’encre bien noire et un pinceau et, d’un grand coup de pinceau en plein sur la gueule, vous l’effacez de sur la photo. Quand tous vos petits copains sont effacés, vous restez seul et vous avez gagné. »...
Les rois du tourniquet
Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux suivent le fil du Fleuve Noir et de quelques décennies de collections populaires, entre nouveau monde et fin de banquet.
Aux origines de la pop culture : le titre pourrait, en dehors de l’enfance d’Élisabeth Borne, rendre compte d’à peu près tout. Le sous-titre est plus éclairant – Le Fleuve Noir et les Presses de la cité au cœur du transmédia à la française, 1945-1990 –, qui ramène à l’après-guerre. Les éditeurs compromis par la collaboration s’en sortent assez bien, les hommes et les structures se...
À la pointe – chronique
Jeune et joli
Voilà, c’est dit dans l’étude statistique (« The Reality of Angels : Thirty Years of Domination ») que vient de publier la revue australienne International and Intersectional Studies on Phallus and Darkness : derrière son titre trompeur, le Matricule abriterait une rédaction majoritairement retranchée dans les ténèbres de sa génération genrée – « How these old caucasian hetero-ploucs could figure the modernity and empowerment of litterature ? » s’interroge Jenny Crackett, au terme de son perfide article. Alors, parce qu’on a plus de 50 ans, un visage pâle et une réputation de french...
Conjugaison, piège à cons
Je serais un infinitif, je me la péterais ! », lâche Elodie. C’est que notre jeune libraire de Cotignac dépose Fabriquer une femme sur les rayonnages du Var Lisant ; où ce roman vient rejoindre d’autres livres de Marie Darrieussecq, comme Pas dormir ; non loin de Vivre sans, que vient de sortir Mazarine Pingeot, quelques années après Se taire. Note à l’attention des futurs historiens : à...
Freestyle
Matin du 26 décembre, pluie battante, sur le parking de Monsieur Meuble (le magasin). Mal redescendu de son réveillon, Patrick tente de vendre une nouvelle idée graphique au rédac chef (« La pratique sexuelle rigolote du mois : on commencerait par la sodomimolette »), lequel ne prend pas même la peine de répondre (du coup, Patrick menace de se consacrer toujours au même écrivain), absorbé...
Médiatocs – chronique
Génération écran plat
Mazarine Pingeot, fille de et future mère, met sa vie en forme.Puis vend sa télé.
Je reste enfermée dans la maison. Ma chienne préfère le sommeil, je ne la comprends pas » : trois propositions, quelques mots très simples, Mazarine effleure le mystère du règne animal. Puis, dans la même page, elle évoque le chat, le cheval, ou encore la grenouille. Mais comme cette dernière rappelle Kermitterand, la future mère a ce cri déchirant : « Peut-être vendrons-nous la télé quand tu arriveras. »
Certains diront qu’il est bien des gens qui se débarrassent de leur télé, mais peu qui la vendent (sauf nécessité extrême), et que Mazarine n’est donc pas très généreuse, un peu petite...
Avec la langue – chronique
Un peu plus près des étoiles
Avec vingt ans d’avance, la troupe Gold avait trouvé la formule de l’art contemporain.
La trentaine détendue fait danser ses enfants au rythme des djembés, les chapelles ruissellent de mises en voix, Mathilde Monnier reprend du rosé : voici venue la saison du spectacle vivant. Mais les joies du live recouvrent le verso non moins solaire des festivals : le Programme, prose dédaignée comme la servante qui n’aurait d’autre rôle que de nous mener à sa maîtresse, la représentation. Or c’est dès les rives du rédactionnel que le désir d’art peut être comblé, en témoignent les deux cents grammes d’Avignon 2008, œuvre en soi dès son premier paragraphe. Valérie Dréville « ne veut pas...
Le patois c’est moi
L’époque a trouvé son mot d’ordre : sous les biloutes, la France !.
Puisque cette œuvre ne montre presque rien du Nord/Pas-de-Calais (sinon quelques briques, deux trois toiles cirées, un bout de littoral), puisqu’en masse les spectateurs en reviennent pourtant remplis comme d’une savoureuse démonstration, rendons-nous à l’évidence du Verbe : c’est la part de dialogue qui fait à elle seule toute la valeur anthropologique de Bienvenue chez les Ch’tis, dont...
Cela pourrait choquer
Quelques nuages de censure, au ciel menaçant des bienséances.
Au début du XXIe siècle : La Nouvelle Star, majesté terrible du jury, et que dire de la salle (prononcer à l’araméenne : pavillon Baal-TÂR), quand c’est au tour du dénommé Ycare, éventuellement de sang cimmérien, de faire ses preuves sur Le Chanteur de Daniel Balavoine. Lio et son tribunal diront parfait, il faut le garder, mais ne souffleront mot d’un alexandrin altéré. Balavoine en son...
Courrier du lecteur – chronique
L'homme qui aimait les livres
Coups d’œil sur « Le Dictionnaire Truffaut », où les romans se font devant et derrière la caméra.
« J’espère que vous garderez longtemps cette gravité du regard et cette façon simple et un peu malheureuse de vous exprimer », écrivait joliment Genet au jeune Truffaut. À parcourir le Dictionnaire, on ne s’éloigne jamais longtemps de la chose littéraire. D’abord, parce que les films sont ici le plus souvent des adaptations, au gré des lectures éclectiques de l’autodidacte : David Goodis pour Tirez sur le pianiste, William Irish pour La Mariée était en noir, Henry James pour La Chambre...
Espèce de Hongrois !
« Tout est pur à ceux qui sont purs » (Saint Paul) : promenade guidée au doux pays de l’Injure.
Bougnoule/ Niakoué/ Raton/ Youpin/ Chinetoque/ Putain/ Maquereau/ Macaque/ Chien » pour ceux que n’aurait pas rassasiés cet Hymne à l’amour de Jacques Dutronc, les éditions 10/18 rééditent les travaux de Robert Edouard, publiés une première fois en 1966. Voilà un tombereau qui en impose, avec plus de huit cents pages découpés en deux volumes, le Dictionnaire des injures venant accompagné de...
Quelques déflagrations
Bang ! dévoile et commente toutes sortes d’images. Il y a les images des bandes dessinées, bien sûr, avec notamment l’interview d’Alan Moore, scénariste britannique assez génial qui donne de très politiques contours aux superhéros de papier (on lui doit entre autres les Watchmen et V pour Vendetta) ; mais aussi les images qui cherchent à échapper au livre et recherchent pour ce de nouveaux...