La rédaction Gilles Magniont
Articles
Le vilain rêve
De l’utilité de lire Le Grand Sommeil dans la retraduction de Benoît Tadié, qui rend au premier roman de Chandler sa singularité triste et toujours frémissante.
Évidemment, on se souvient de l’adaptation d’Howard Hawks : clair-obscur au cordeau, récit au galop, érotisme incisif des dialogues Bogart/Bacall. Sauf que leur couple ne s’est jamais formé chez Raymond Chandler (où le détective Philip Marlowe repoussait toute manipulation des dames) ; que l’histoire y était beaucoup plus composite (Chandler ayant fondu l’intrigue de deux nouvelles antérieures, et se fichant assez d’une vraisemblance que le style seul se chargeait d’assurer) ; que la couleur d’ensemble du roman tirait, plutôt que vers le noir et blanc classieux consacré par la tradition,...
Le retour du roi
« Pourquoi ce texte était-il resté dans son tiroir de bureau ? » demande son fils dans une pudique postface : voilà le nouveau John le Carré, merveille d’adresse et d’humanité.
Ce n’est donc pas son « dernier » livre, qu’il aurait achevé juste avant sa mort survenue en 2020, mais un roman écrit il y a environ dix ans, et qui n’avait pas encore passé le stade des épreuves. L’Espion qui aimait les livres, titre conçu pour le marché français, est sans doute vendeur, mais d’une astuce un peu convenue, entre clin d’œil à James Bond ou à l’auteur lui-même. Silverview,...
La Destitution du peuple de Jean-Claude Milner
C’est un essai où les idées communes sont prises à rebrousse-poil. Soit le mouvement dit social des Gilets jaunes, qui s’exercerait en réalité contre les mouvements sociaux, exprimant même La Destitution du peuple. Point de départ : démocratie et république étant fondées sur la coïncidence des pouvoirs et des droits, Jean-Claude Milner voit cette coïncidence abîmée par la politique en temps...
Séparé de rien
Pas la langue en soi, pas la raison nue, pas tout seul : Georges Didi-Huberman éclaire, avec le Témoin jusqu’au bout, ces attaches qui permirent à Victor Klemperer de survivre, par son journal.
C’est le bombardement de Dresde, la nuit du 13 au 14 février 1945, qui, in extremis, sauva Victor Klemperer de la déportation. Philologue et spécialiste des Lumières, il avait depuis 1933 noirci cinq mille feuillets d’un journal clandestin – « je grimpe le long de mon crayon pour sortir de l’enfer », cet enfer personnel qui fut aussi celui de tous les Juifs allemands, avec le travail forcé en...
Un livre
L' Amour N°1
L' Amour N°1
Large format, beau papier, voilà L’Amour, censément revue semestrielle « artistique et littéraire » dirigée par Frédéric Pajak – assez saillant ici, du dessin de couverture au texte d’une BD en passant par l’éditorial et un long, très libre et très beau texte, « L’eau qui dort », qui suit les méandres de la révolte, ici La Boétie, là « les douloureux ronds-points ». Les aficionados des...
À la pointe – chronique
Conjugaison, piège à cons
Je serais un infinitif, je me la péterais ! », lâche Elodie. C’est que notre jeune libraire de Cotignac dépose Fabriquer une femme sur les rayonnages du Var Lisant ; où ce roman vient rejoindre d’autres livres de Marie Darrieussecq, comme Pas dormir ; non loin de Vivre sans, que vient de sortir Mazarine Pingeot, quelques années après Se taire. Note à l’attention des futurs historiens : à l’orée du troisième millénaire, la littérature française fit défiler les process sur ses couvertures, certains qu’on se représente sans trop de mal – du genre Courir, Avancer, Choir, voire Faire l’amour...
Freestyle
Matin du 26 décembre, pluie battante, sur le parking de Monsieur Meuble (le magasin). Mal redescendu de son réveillon, Patrick tente de vendre une nouvelle idée graphique au rédac chef (« La pratique sexuelle rigolote du mois : on commencerait par la sodomimolette »), lequel ne prend pas même la peine de répondre (du coup, Patrick menace de se consacrer toujours au même écrivain), absorbé...
Cher collègue
Chaque rentrée c’est pareil. Et que six mois de vacances ça m’a pas suffi. Et que je suis mal payé. Allons donc, le plus beau métier du monde ! Et tout le monde se met en quatre pour te faciliter la tâche. Par exemple la rédaction de France Info qui, ce 4 septembre, encense Western de Maria Pourchet, « fabuleux roman d’amour à l’ère post #MeToo ». Et alors ? Et alors si tu tenais tes fiches à...
Médiatocs – chronique
Génération écran plat
Mazarine Pingeot, fille de et future mère, met sa vie en forme.Puis vend sa télé.
Je reste enfermée dans la maison. Ma chienne préfère le sommeil, je ne la comprends pas » : trois propositions, quelques mots très simples, Mazarine effleure le mystère du règne animal. Puis, dans la même page, elle évoque le chat, le cheval, ou encore la grenouille. Mais comme cette dernière rappelle Kermitterand, la future mère a ce cri déchirant : « Peut-être vendrons-nous la télé quand tu arriveras. »
Certains diront qu’il est bien des gens qui se débarrassent de leur télé, mais peu qui la vendent (sauf nécessité extrême), et que Mazarine n’est donc pas très généreuse, un peu petite...
Avec la langue – chronique
Un peu plus près des étoiles
Avec vingt ans d’avance, la troupe Gold avait trouvé la formule de l’art contemporain.
La trentaine détendue fait danser ses enfants au rythme des djembés, les chapelles ruissellent de mises en voix, Mathilde Monnier reprend du rosé : voici venue la saison du spectacle vivant. Mais les joies du live recouvrent le verso non moins solaire des festivals : le Programme, prose dédaignée comme la servante qui n’aurait d’autre rôle que de nous mener à sa maîtresse, la représentation. Or c’est dès les rives du rédactionnel que le désir d’art peut être comblé, en témoignent les deux cents grammes d’Avignon 2008, œuvre en soi dès son premier paragraphe. Valérie Dréville « ne veut pas...
Le patois c’est moi
L’époque a trouvé son mot d’ordre : sous les biloutes, la France !.
Puisque cette œuvre ne montre presque rien du Nord/Pas-de-Calais (sinon quelques briques, deux trois toiles cirées, un bout de littoral), puisqu’en masse les spectateurs en reviennent pourtant remplis comme d’une savoureuse démonstration, rendons-nous à l’évidence du Verbe : c’est la part de dialogue qui fait à elle seule toute la valeur anthropologique de Bienvenue chez les Ch’tis, dont...
Cela pourrait choquer
Quelques nuages de censure, au ciel menaçant des bienséances.
Au début du XXIe siècle : La Nouvelle Star, majesté terrible du jury, et que dire de la salle (prononcer à l’araméenne : pavillon Baal-TÂR), quand c’est au tour du dénommé Ycare, éventuellement de sang cimmérien, de faire ses preuves sur Le Chanteur de Daniel Balavoine. Lio et son tribunal diront parfait, il faut le garder, mais ne souffleront mot d’un alexandrin altéré. Balavoine en son...
Courrier du lecteur – chronique
L'homme qui aimait les livres
Coups d’œil sur « Le Dictionnaire Truffaut », où les romans se font devant et derrière la caméra.
« J’espère que vous garderez longtemps cette gravité du regard et cette façon simple et un peu malheureuse de vous exprimer », écrivait joliment Genet au jeune Truffaut. À parcourir le Dictionnaire, on ne s’éloigne jamais longtemps de la chose littéraire. D’abord, parce que les films sont ici le plus souvent des adaptations, au gré des lectures éclectiques de l’autodidacte : David Goodis pour Tirez sur le pianiste, William Irish pour La Mariée était en noir, Henry James pour La Chambre...
Espèce de Hongrois !
« Tout est pur à ceux qui sont purs » (Saint Paul) : promenade guidée au doux pays de l’Injure.
Bougnoule/ Niakoué/ Raton/ Youpin/ Chinetoque/ Putain/ Maquereau/ Macaque/ Chien » pour ceux que n’aurait pas rassasiés cet Hymne à l’amour de Jacques Dutronc, les éditions 10/18 rééditent les travaux de Robert Edouard, publiés une première fois en 1966. Voilà un tombereau qui en impose, avec plus de huit cents pages découpés en deux volumes, le Dictionnaire des injures venant accompagné de...
Quelques déflagrations
Bang ! dévoile et commente toutes sortes d’images. Il y a les images des bandes dessinées, bien sûr, avec notamment l’interview d’Alan Moore, scénariste britannique assez génial qui donne de très politiques contours aux superhéros de papier (on lui doit entre autres les Watchmen et V pour Vendetta) ; mais aussi les images qui cherchent à échapper au livre et recherchent pour ce de nouveaux...