La rédaction Gilles Magniont
Articles
Les filles de l'intérieur
« La vie de travesti peut être la plus heureuse qui soit » : la preuve par l’image et par la Casa Susanna, rêve fragile d’une existence mise en jolis plis.
Tout commence en 2004, avec un marché aux puces new-yorkais où deux antiquaires découvrent un carton de 340 clichés : comme des photos de famille dénuées d’ambition esthétique, portraits frontaux et appliqués scandant un quotidien sage et épanoui. Rien d’extraordinaire, à ceci près que ces jours heureux s’incarnent par des hommes travestis en femme. Dans le carton, une carte de visite au nom de Susanna Valenti permet de mener l’enquête : morte en 1996, Susanna était pour l’état-civil Tito Arriagada, directeur de programme pour la radio gouvernementale Voice America. Voilà pour l’existence...
Proses de la désolation
Avec un souffle remarquable, Philippe Dufour rend leur force politique aux romanciers réalistes, peintres de la démocratie – soit ce qui n’est pas advenu, et continue de nous manquer.
Le XIXe siècle consacra la société bourgeoise en 1830, massacra les insurgés barbares en 1848, derechef les communards en 1871 ; les mirages du libéralisme classique – Adam Smith et ses providentielles redistributions – se dissipèrent vite, laissant voir les réalités crues du capitalisme – Herbert Spencer et son darwinisme social. Face au mythe libéral, face à l’idéalisme abstrait, voilà...
Marche-frontière, d’Ahmed Slama
On pourrait aborder Marche-frontière par la grammaire. On distinguerait les groupes nominaux, de « fouillis de tickets de caisse » en « meubles gonflés par les vapeurs de graillons » et « cortège de gens affairés », somme des possessions dérisoires, kaléidoscope de décors déprimants, figures de la mobilité contrainte. Et puis les infinitifs, du dehors – « Privilégier les chemins faciles (…)....
Lâcher prise
Quelques jours d’enquête sur la frontière du Texas, au départ d’une année terrible : dans son immense Cimetière d’étoiles, Richard Morgiève donne libre cours à la « poésie humaine ».
L’enquête du Marine mort à El Paso était bien partie pour tout avaler, tout confondre en elle-même. » Le roman semble pareillement tout absorber : misère et paranoïa, faits divers et affaire d’État, traumas et expérimentations, standards et Évangiles, FBI et CIA, Vietnam et Kennedy (nous sommes en 1963), faune des seconds couteaux et demoiselle en danger, anthropologie de l’enquête policière...
Le Moment américain du roman français de Anne Cadin
Dans l’immédiate après-guerre, le roman américain cesse par chez nous d’être l’affaire de quelques libraires éclairés ou d’une avant-garde érudite, et occupe ce large lectorat qui avait découvert Autant en emporte le vent sous le manteau, pendant l’Occupation. Anne Cadin examine cet engouement par le détail, via la presse de l’époque ou les tentatives sartriennes d’acclimatation, puis montre...
À la pointe – chronique
Freestyle
Matin du 26 décembre, pluie battante, sur le parking de Monsieur Meuble (le magasin). Mal redescendu de son réveillon, Patrick tente de vendre une nouvelle idée graphique au rédac chef (« La pratique sexuelle rigolote du mois : on commencerait par la sodomimolette »), lequel ne prend pas même la peine de répondre (du coup, Patrick menace de se consacrer toujours au même écrivain), absorbé qu’il est à guetter l’ouverture du magasin, tout en parcourant compulsivement le dossier « DÉCOS INSPIRANTES » qu’il a lentement constitué depuis des mois. La raison de cette agitation ?...
Cher collègue
Chaque rentrée c’est pareil. Et que six mois de vacances ça m’a pas suffi. Et que je suis mal payé. Allons donc, le plus beau métier du monde ! Et tout le monde se met en quatre pour te faciliter la tâche. Par exemple la rédaction de France Info qui, ce 4 septembre, encense Western de Maria Pourchet, « fabuleux roman d’amour à l’ère post #MeToo ». Et alors ? Et alors si tu tenais tes fiches à...
Mot compte triple
Il fallait s’y attendre : cette chronique suscite un abondant courrier. Impossible d’y répondre autant qu’on le voudrait, même si certains messages méritent le détour – ainsi celui de Christian T., fringant retraité de la Haute-Garonne : « La page À la pointe est tout bonnement géniale (…)1 S’il m’est toutefois permis d’exprimer un léger regret, c’est que la bienveillante lumière de vos...
Médiatocs – chronique
Génération écran plat
Mazarine Pingeot, fille de et future mère, met sa vie en forme.Puis vend sa télé.
Je reste enfermée dans la maison. Ma chienne préfère le sommeil, je ne la comprends pas » : trois propositions, quelques mots très simples, Mazarine effleure le mystère du règne animal. Puis, dans la même page, elle évoque le chat, le cheval, ou encore la grenouille. Mais comme cette dernière rappelle Kermitterand, la future mère a ce cri déchirant : « Peut-être vendrons-nous la télé quand tu arriveras. »
Certains diront qu’il est bien des gens qui se débarrassent de leur télé, mais peu qui la vendent (sauf nécessité extrême), et que Mazarine n’est donc pas très généreuse, un peu petite...
Avec la langue – chronique
Un peu plus près des étoiles
Avec vingt ans d’avance, la troupe Gold avait trouvé la formule de l’art contemporain.
La trentaine détendue fait danser ses enfants au rythme des djembés, les chapelles ruissellent de mises en voix, Mathilde Monnier reprend du rosé : voici venue la saison du spectacle vivant. Mais les joies du live recouvrent le verso non moins solaire des festivals : le Programme, prose dédaignée comme la servante qui n’aurait d’autre rôle que de nous mener à sa maîtresse, la représentation. Or c’est dès les rives du rédactionnel que le désir d’art peut être comblé, en témoignent les deux cents grammes d’Avignon 2008, œuvre en soi dès son premier paragraphe. Valérie Dréville « ne veut pas...
Le patois c’est moi
L’époque a trouvé son mot d’ordre : sous les biloutes, la France !.
Puisque cette œuvre ne montre presque rien du Nord/Pas-de-Calais (sinon quelques briques, deux trois toiles cirées, un bout de littoral), puisqu’en masse les spectateurs en reviennent pourtant remplis comme d’une savoureuse démonstration, rendons-nous à l’évidence du Verbe : c’est la part de dialogue qui fait à elle seule toute la valeur anthropologique de Bienvenue chez les Ch’tis, dont...
Cela pourrait choquer
Quelques nuages de censure, au ciel menaçant des bienséances.
Au début du XXIe siècle : La Nouvelle Star, majesté terrible du jury, et que dire de la salle (prononcer à l’araméenne : pavillon Baal-TÂR), quand c’est au tour du dénommé Ycare, éventuellement de sang cimmérien, de faire ses preuves sur Le Chanteur de Daniel Balavoine. Lio et son tribunal diront parfait, il faut le garder, mais ne souffleront mot d’un alexandrin altéré. Balavoine en son...
Courrier du lecteur – chronique
L'homme qui aimait les livres
Coups d’œil sur « Le Dictionnaire Truffaut », où les romans se font devant et derrière la caméra.
« J’espère que vous garderez longtemps cette gravité du regard et cette façon simple et un peu malheureuse de vous exprimer », écrivait joliment Genet au jeune Truffaut. À parcourir le Dictionnaire, on ne s’éloigne jamais longtemps de la chose littéraire. D’abord, parce que les films sont ici le plus souvent des adaptations, au gré des lectures éclectiques de l’autodidacte : David Goodis pour Tirez sur le pianiste, William Irish pour La Mariée était en noir, Henry James pour La Chambre...
Espèce de Hongrois !
« Tout est pur à ceux qui sont purs » (Saint Paul) : promenade guidée au doux pays de l’Injure.
Bougnoule/ Niakoué/ Raton/ Youpin/ Chinetoque/ Putain/ Maquereau/ Macaque/ Chien » pour ceux que n’aurait pas rassasiés cet Hymne à l’amour de Jacques Dutronc, les éditions 10/18 rééditent les travaux de Robert Edouard, publiés une première fois en 1966. Voilà un tombereau qui en impose, avec plus de huit cents pages découpés en deux volumes, le Dictionnaire des injures venant accompagné de...
Quelques déflagrations
Bang ! dévoile et commente toutes sortes d’images. Il y a les images des bandes dessinées, bien sûr, avec notamment l’interview d’Alan Moore, scénariste britannique assez génial qui donne de très politiques contours aux superhéros de papier (on lui doit entre autres les Watchmen et V pour Vendetta) ; mais aussi les images qui cherchent à échapper au livre et recherchent pour ce de nouveaux...