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Poésie À la croisée des genres

juillet 2025 | Le Matricule des Anges n°265 | par Emmanuelle Rodrigues

Les Hommes à leurs heures perdues d’Anne Carson témoigne d’une approche fascinante de la poésie, mise en forme sensible du plus universel.

Les Hommes à leurs heures perdues

Née à Toronto en 1950, Anne Carson est désormais reconnue comme l’autrice d’une œuvre importante entremêlant les genres littéraires. Sa vision d’ensemble de la littérature mondiale d’hier à aujourd’hui donne à ses écrits une liberté de ton d’une rare justesse. Empruntant à la forme poétique, dramatique, comme à l’essai, ses textes contiennent de multiples références à la pensée grecque, à ses mythes, comme aux œuvres les plus modernes. Dans Les Hommes à leurs heures perdues, sa connaissance des auteurs de l’Antiquité gréco-latine et son goût pour les figures artistiques de la modernité donnent lieu à des citations de Virginia Woolf, d’Aristote, de Genet, de Tolstoï, d’Alcman, de Sappho. Il ne s’agit pas tant de les pasticher que de rendre présentes leurs pensées, leurs émotions, tout comme si celles-ci hantaient encore les nôtres. Il s’agirait donc avant toute chose de questionner notre manière de voir et de sentir, comme de mettre en jeu l’écriture comme une source permanente d’étonnements, de surprises et de redécouvertes.
Cet ensemble de poèmes publiés en anglais en 2000, tout récemment traduits en français, met en tension des écrits de différentes époques, tout en les faisant résonner autrement. Le texte inaugural, qui s’intitule « Le temps ordinaire : Virginia Woolf et Thucydide sur la guerre », donne lieu à des remarques sur un passage du Livre II de l’historien grec. Anne Carson cite également un texte que Woolf écrivit au début de la Première Guerre mondiale, « La marque sur le mur ». C’est par ces deux points de vue que s’élabore cette méditation sur la guerre, qui est aussi une méditation sur le temps. Si la guerre est collective, elle peut également s’engager entre les individus, entre les genres. Dans « Somptueuse destitution », diverses citations de la correspondance entre Emily Dickinson et Thomas Higginson alternent tout en se superposant avec les vers d’Anne Carson. De la sorte, le texte se tisse au fur et à mesure jouant d’une certaine ironie au sujet de l’abyssale incompréhension entre les deux épistoliers. User des mots, revient à les entrelacer tels des fils tendus par-delà la vie et la mort. Les figures mythiques, les personnages imaginaires hantent nos mémoires comme les acteurs jouent de cette oscillation permanente entre vrai et illusion. Dans « Essai sur ce qui occupe le plus mon esprit », elle évoque ainsi la Rhétorique d’Aristote : relevant que l’erreur selon le philosophe, serait « un évènement mental intéressant et précieux », « faire de la poésie, souligne-t-elle, c’est s’engager dans l’erreur, / dans la création volontaire de l’erreur ».
Et c’est justement en transgressant le langage et ses usages, que se produit l’émotion particulière qui retiendra notre attention. Prenant l’exemple d’Alcman, elle ajoute : « Plus d’un poète aspire / à ce ton de lucidité involontaire / mais peu y parviennent aussi simplement qu’Alcman. / Bien sûr, c’est une simplicité feinte. / Alcman n’est en rien simple, / il est un maître de l’artifice / ou ce qu’Aristote appellerait un “imitateur” / de la réalité. » En intégrant dans la matière textuelle une part de réflexivité, l’écrivaine en vient à subvertir la notion de poème, moins soucieuse de contraintes de style que d’une certaine rigueur de pensée. Telle une esthétique habitée par le sentiment du temps, ses textes relient passé et présent. Dans « HOPPER : CONFESSIONS », une série de poèmes ponctués de citations extraites du Livre XI des Confessions de Saint-Augustin, restitue cette conscience de la fuite du temps, obsédant motif de la condition humaine. Tout en constituant une poétique de la mise à distance, Anne Carson nous plonge au cœur d’enjeux existentiels, faisant de toute poésie le lieu essentiel où resurgit l’émotion même de vivre.
Mais plus encore, ouvrant le genre poétique à d’autres, en de longues séquences intégrant toutes les façons d’écrire, elle met en jeu notre foi en la littérature toujours susceptible de réenchanter nos failles, nos doutes et nos imaginaires.

Emmanuelle Rodrigues

Les Hommes à leurs heures perdues, d’Anne Carson
Traduit de l’anglais
(Canada) par Fabienne Durand-Bogaert,
L’Arche, 172 pages, 19

À la croisée des genres Par Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°265 , juillet 2025.
LMDA papier n°265
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LMDA PDF n°265
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