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Égarés, oubliés Une Colette danoise

février 2025 | Le Matricule des Anges n°260 | par Éric Dussert

Hôtesse de nombreux opposants allemands au nazisme, Karin Michaëlis a publié une œuvre variée parmi laquelle un brûlot féministe fit sensation.

Aussi peu renommée en France que sa collègue Agnes Henningsen (1868-1962) – qui n’a, elle, jamais été traduite –, la romancière Karin Michaëlis incarne le paradoxe d’auteurs à succès passant du grand tapage au néant le temps que se succèdent une ou deux générations de lecteurs insouciants. N’est pas Karen Blixen qui veut… Le succès de Karin Michaëlis était pourtant antérieur au sien, et plutôt colossal : la quarantaine de romans qu’elle a publiés lui ont valu durant des décennies une audience internationale. On la lit toujours au Danemark, mais en France ses textes les plus importants n’ont même jamais été traduits, ainsi de L’Enfant (1901), Petite Mère (1902), et jusqu’à L’Arbre de la science du Mal et du Bien, sa vaste autobiographie qui compte les livres qu’elle préférait. Son plus grand succès de scandale, celui qui la fit comparer (en France) à Colette, L’Âge dangereux (Lemerre, 1911), roman dans lequel elle évoquait sans tourner autour du pot les affres, transformations et tourments de la femme de 40 ans, n’a quant à lui pas survécu au passage du temps dans sa version française. Elle ne connut d’ailleurs qu’une réédition dans les années 1930, et ce n’est peut-être pas un mal puisqu’il s’agit d’une adaptation tissée par Marcel Prévost, romancier à la mode des années 1910, à partir de l’édition à succès allemande, Prévost ne lisant pas le danois. Il semble donc que tout soit à refaire.
Ce truchement de l’allemand s’explique car les liens de Michaëlis avec l’Allemagne étaient forts. Conférencière internationale depuis 1924, parfaitement francophone, elle était beaucoup lue en Allemagne et y avait noué de nombreuses amitiés. « Vive, enthousiaste combative, malicieuse, spirituelle » (André Chastain) et bien consciente de ce qui se jouait à Berlin, elle accueillit dans les années 1930 ses amis antinazis pour lesquels elle fit construire une petite cité de bois sur Thurø, une île de Fionie peuplée de mille deux ans habitants au sud de Svendborg où elle avait établi son « ermitage ». Une quarantaine de militants, journalistes, écrivains bénéficièrent de son aide gracieuse, dont Bertolt Brecht, au point que le régime allemand en prit ombrage : Goebbels fit jeter ses livres au feu.

Née le 22 mars 1872 à Randers, elle a évoqué ses origines pour Les Nouvelles littéraires en juin 1938 : « Je suis née dans une toute petite ville de la province danoise, où les maisons sont vieilles et respirent un air d’autrefois. Dans mon enfance, les hommes de la campagne et certains marchands de la ville portaient encore des bas blancs et des sabots de bois. Cette paisible cité était pour moi l’aventure elle-même. J’ai toujours été une déplorable écolière, mais j’ai beaucoup rôdé dans la campagne et parcouru plus de cent fois sur mon canot un modeste cours d’eau qu’on appelait “Gudenaaen”. Mon père était employé à la station du télégraphe. Son salaire était maigre, et, pour subvenir aux besoins de cinq enfants, ma mère tenait une boutique de fleurs. On avait décidé, je n’ai jamais su pourquoi, que je serais pianiste. Aussi, à l’âge de vingt ans, je fus envoyée à Copenhague pour suivre les leçons d’un musicien réputé de la capitale. Malgré ma passion pour la musique et toute ma bonne volonté, je ne fus jamais jugée digne de paraître dans un concert. »
Sa vocation était littéraire. Elle épousa Sophus Michaëlis (1865-1932), un écrivain, qui lui ouvre des horizons, comme Colette aura rencontré Willy. Mais Sophus, qui n’a rien à voir avec ce dernier n’intervient pas dans les écrits de Karin. Et les premiers livres de cette dernière font un tabac. Ils sont traduits en quinze langues ! Divorcée dès 1908, elle publie en 1911 cet Âge dangereux sans doute un peu autobiographique qui la classe au premier rang de la littérature mondiale (il existe une édition japonaise de l’époque, c’est dire) et, très certainement, parmi les romancières foncièrement féministes. Inspirée littérairement d’abord par Herman Bang (1857-1912), l’auteur de Tine (1894, Stock ; Elena Balzamo a traduit récemment certains de ses romans) et par Knut Hamsun, elle donna dans L’Âge dangereux son meilleur avec subtilité, honnêteté et, parfois, une crudité tout juste masquée par le faux-semblant qui émane parfois des échanges de lettres.
En 1938, elle avait eu l’occasion de dire ce qu’elle pensait de « la littérature féminine, pour employer un vocable commode, (qui) a certainement favorisé le grand mouvement d’émancipation qui s’est dessiné au début du siècle. Elle a eu les mêmes effets au Danemark que dans la plupart des autres pays d’Europe. Toutefois, ces effets ont été très limités. Si la lutte n’avait pas été portée, résolument, sur le terrain politique, la cause féministe n’aurait jamais connu la victoire en Scandinavie. Or vous savez dans quelle mesure elle a triomphé… »
Disparue à Copenhague le 11 janvier 1950, Karin Michaëlis reste donc à traduire si l’on souhaite avoir un jour l’occasion d’apprécier les morceaux les plus goûteux de son œuvre.

Éric Dussert

Une Colette danoise Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°260 , février 2025.