Sabryna Pierre nous offre une pièce fleuve avec plus de 40 personnages, pour la plupart historiques. Le drame de Mayerling se déroule le 30 janvier 1889. L’archiduc Rodolphe, prince héritier de l’empire austro-hongrois, est retrouvé mort dans son pavillon de chasse en compagnie de sa jeune maîtresse de 17 ans.
Le long sous-titre que l’autrice a donné à sa pièce est : « combien de temps faudra-t-il à un édifice aussi solide que l’empire des Habsbourg pour craquer de toutes ses jointures et s’effondrer comme un château de cartes ». La mise en jeu de cet effondrement donne à la lecture de ce texte une vision puissante qui résonne aujourd’hui. Tout en étant extrêmement documentée sur les faits historiques, la mise en jeu de Sabryna Pierre mêle histoire et fiction, réel et irréel, en laissant par exemple une place centrale aux morts qui viennent réclamer vengeance. La temporalité est également bousculée. Catherine Deneuve et Omar Sharif, qui ont joué l’archiduc Rodolphe et son amante dans le film de Terence Young, font des apparitions. De même Georges Clemenceau et le chancelier allemand Bismarck, cachés dans des buissons, pour assassiner l’archiduc. L’autrice rend compte de toutes les rumeurs incroyables qui ont découlé de ce double suicide. Un peu comme si nous étions dans les préludes du déferlement médiatique auquel on assiste aujourd’hui. Tout y est, jusqu’à l’élection de Karl Lueger à la mairie de Vienne malgré ses positions antisémites. Sabryna Pierre fait parler dans une séquence la femme de l’archiduc Rodolphe, évoquant son mari comme quelqu’un qui « pourrit sur pied, intoxiqué par la syphilis la morphine et par les produits de son cerveau malade ». Elle ajoute « je vais vous dire la vérité que personne de veut entendre/ le libéralisme et la débauche/ la soif de possession et le poids de l’échec/ ont fait de mon mari un abcès de pus qui ne manquera pas de nous éclater au visage ». Le mécanisme qui conduit à la Première Guerre mondiale est enclenché. Mayerling est une invitation à nous questionner, nous les témoins « myopes et éphémères et incertains » de l’Histoire.
L. Cazaux
Mayerling
de Sabryna Pierre
Éditions théâtrales, 132 pages, 17 €
Théâtre Mayerling suivi de Ambrosia Sosostris
juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°255
, juillet 2024.