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Traduction Marko Despot

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255

Les Enfants de sainte Marguerite, de Ante Tomić

Août 2001, Jagodnja Gornja, village dalmate dévasté par la guerre, à huit kilomètres de la station balnéaire de Biograd, à mille lieues du monde. Mon épouse et moi venons rendre visite à son oncle qui a hérité de la maison familiale dans ce hameau aux toits détruits par l’armée pour empêcher le retour des habitants. Elle vient d’acheter le roman dont tout le monde parle, Miracle à la combe aux Aspics, livre à succès d’un jeune journaliste croate, pourfendeur du chauvinisme sous toutes ses formes, et passe la nuit à le lire, et à rire aux éclats. Ma nuit est courte.
Le matin, j’ai lu le roman à mon tour, et me suis promis de le faire connaître aux lecteurs francophones : au-delà de la comédie burlesque, l’écrivain proposait une vision singulière de ses contemporains au lendemain de la guerre civile yougoslave, appuyant les défauts des uns et des autres dans une narration empruntant les convenances de la comédie à l’italienne et la bande-son d’une fanfare tsigane.
Mes démarches sont restées vaines durant vingt ans. Qui serait assez fou pour publier l’ouvrage d’un jeune auteur inconnu traduit d’une langue mineure, et, qui plus est, bien mal perçu dans son pays où ses prises de position ont pu irriter notamment les anciens combattants, dont il se moque dans son roman ?
C’est Vera Michalski qui a eu la témérité de défendre le livre, convaincue qu’il avait sa place dans sa maison d’édition. Son audace a payé, car le miracle s’est opéré immédiatement : l’écrivain a trouvé ses lecteurs, porté par les libraires en premier lieu, puis par les journalistes, les bibliothécaires, tous les médiateurs de la littérature.
Deux autres œuvres ont suivi : Qu’est-ce qu’un homme sans moustache ? et Les Enfants de sainte Marguerite. Et l’on se demande d’où vient le succès populaire de ces fables rocambolesques. On peut comprendre qu’elles plaisent aux lecteurs du cru, qui sont au fait de l’histoire et des références, qui reconnaissent le voisin, le cousin, tous les « affreux, sales et méchants ». Mais qu’est-ce qui emballe ceux qui, du pays et de sa population, ne connaissent que les plages, les paysages et les restaurateurs, souvent malpolis ? C’est, je pense, avant tout la bienveillance infinie de l’auteur pour ses personnages, l’amour qu’il leur porte sans même le vouloir ni s’en rendre compte. Mais également cet art, si rare et difficile, de la joie et du bonheur.
Ante Tomić considère qu’un texte est réussi au moment où ses personnages lui échappent, à l’instant où ils agissent de façon autonome. Il manie l’humour pour permettre au lecteur de rire des puissants et des institutions. La moquerie, chez lui, est fraternelle : le général, le ministre, le policier, tous sont tournés en ridicule, mais sans la méchanceté qui cherche à blesser, ni la complaisance gratuite. À propos des Enfants de sainte Marguerite, il déclare d’ailleurs : « C’est un livre dans lequel j’ai représenté mon pays et le peuple qui l’habite de manière bien plus avantageuse que ce qu’ils sont réellement. Je les ai décrits tels qu’ils pourraient être s’ils possédaient un peu plus d’intelligence et de droiture. C’est un roman sur l’optimisme, sur la bonté, et je crains que, par les temps qui courent, l’optimisme et la bonté se fassent rares. »
Ma chance est d’être le traducteur d’Ante Tomić, et son éditeur. Nous avons parcouru les routes de France, de Suisse et de Serbie ensemble, et c’est toujours une surprise, pour lui, de rencontrer des inconnus qui le remercient pour l’optimisme et l’amour qu’il distille, page après page, dans ses romans. Cet humanisme n’est pas uniquement littéraire, on le retrouve dans son travail de journaliste où il écorche les politiques, ainsi que, plus généralement, dans ses propos. À un auteur qui prêche la victoire militaire de sa nation, il rétorque qu’il n’est pas toujours bon de remporter une guerre, que le vainqueur, gagnant des terres, perd souvent son âme. À Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature, qui lui confie que le rêve de tout écrivain des pays de l’Est était de se faire traduire en serbo-croate, regrettant que cette langue ait cessé d’exister, il répond que c’est faux, que le serbe et le croate sont la langue d’un même peuple, et que la preuve la plus éclatante de sa survivance est que, du croate, c’est un Serbe qui le traduit et le publie en français.
Mais si l’éditeur est ravi, le traducteur est marri. La langue d’Ante Tomić est une variante, dalmate et parlée, du croate littéraire. La lecture originale en est succulente, car les expressions, le rythme de la phrase, l’humour et le comique de situation sont spécifiques à une minuscule région d’un petit pays d’Europe centrale. Et le traducteur de se demander comment rendre en français des locutions que même les Croates non dalmates ont de la peine à comprendre. La tâche n’est pas tant de trouver le mot juste que de reproduire l’esprit du texte. « La traduction est, au mieux, un écho. » Cette formule de George Borrow m’a-t-elle inspiré dans ce travail ? Non, car je l’ignorais avant la rédaction de ce texte, et suis tombé sur elle en écrivant ces lignes. J’espère cependant que l’écho, dans le cas présent, aura conservé la mélodie du son original.
Devant mes interrogations linguistiques, l’auteur, avec son humour et sa modestie, m’a fait une réponse qu’il a reproduite dans les Grandes histoires, une colonne publiée en Croatie et en Serbie, au lendemain d’une tournée littéraire en Suisse : « Il n’existe pas de livre si exécrable qu’une bonne traduction ne saurait embellir. » Et de poursuivre : « Je suis heureux de ce fait d’armes subversif. Je suis fier que nous ayons publié deux livres en France [c’était avant Les Enfants de sainte Marguerite] malgré nos contrées renfrognées et brouillées, malgré leurs politiques culturelles exclusives, et malgré tous ces primates qui se font sauvagement la guerre pour savoir si l’eau est minérale ou gazeuse. »

Les Enfants de sainte Marguerite (176 pages, 22 ) paraît aux éditions Noir sur Blanc le 22 août.

Marko Despot
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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