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Histoire littéraire Une marque allemande

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Jérôme Delclos

De sa dérive urbaine sur fond de prostitution, Emmy Hennings (1885-1948) tire une brûlante quête de soi. Rude et mystique.

Au XVIe siècle sur le parvis d’une église espagnole, la prieure Thérèse d’Avila fit scandale en haranguant ses Sœurs aux mots de « Nous sommes les putains du Christ ! ». Elle avait fugué du foyer familial à 7 ans dans l’idée très romanesque de « se faire décapiter par les Maures », une seconde fois à 18 pour rejoindre un carmel mondain et peu cloîtré. Prostituée dans la Prusse de 1911, la jeune Emmy, pionnière du dadaïsme, elle aussi fugueuse à 18 ans mais pour suivre une troupe de théâtre ambulant, est une semblable rebelle. Et le début de son « Tagebuch » – un journal – attaque fort lui aussi dans le registre de la foi. L’incipit (« Au nom du sans-nom, si loin que je sois de lui, commençons »), le leitmotiv de la chute (« Ma naissance fut la chute d’un ange déchu d’avoir renié Dieu, et maintenant je cherche à nouveau… »), le récit de sa prière dans la cathédrale de Cologne devant l’autel du « saint patron de la jeunesse » Saint Louis de Gonzague, installent d’emblée un climat de ferveur religieuse. De son propre aveu, elle écrit une confession. « Je ne confesse que le comment. (…) Toute occasion m’ouvrait un précipice (…). Oh ! Que je suis criarde et crue ! Je me suis laissé aller à la tentation (…). Où suis-je allée chercher ? »
Publié en 1920 un an après Prison (Lmda N°230), La Flétrissure revient sur une période qui lui est antérieure de dix années, bien avant le fameux Cabaret Voltaire qu’elle fonde à Zurich en 1916 avec le poète Hugo Ball. Emmy a 18 ans, la dissolution de sa troupe la laisse seule et sans un sou. La misère et la faim. Son arrivée à Cologne la trouve très tourmentée. « Tout semble se dissoudre », « Je suis un être en désordre », « Maintenant je vais sans trêve ni repos ». Dans la cathédrale, elle implore : « Ô puissance,/ où que tu sois/ regarde-moi,/ toi l’inconnue ». Mais Dieu est aux abonnés absents. « Il devait être écrit que ce jour-là rien ne se pencherait sur moi. » Elle marche sans but, « la nuit va bientôt venir ». Soudain, changement de décor : « L’angélus sonne encore quand j’entre dans un café nommé La lampe éternelle. Je m’installe sur un canapé de peluche rouge  ».
Le dossier de presse précise que le titre français traduit « Das Brandmal », la marque au fer rouge. Par parenthèse, dans le jargon de Villon une « marque » est une prostituée, comme si la femme frappée d’infamie devait endurer aussi, double peine, de porter le nom lui-même du stigmate. Le récit de ses rencontres avec ses premiers clients glace le sang. « Il ne fait que me regarder. C’est comme un voile vacillant qui passe devant ses yeux. » Des façons vulgaires de consommateur : « Mon monsieur tapote une pièce de cinq marks contre son verre ». Elle n’éprouve que répulsion s’il s’épanche, lui raconte ses gosses, sa fille qui a son âge. Et surtout, dit-elle, « Je ne sens en moi qu’une grande épouvante dont je ne peux me libérer ». L’argent ? Le salaire de la peur, des ténèbres. « Cette nuit, me frappant la poitrine, j’ai découvert une pièce de monnaie dans ma main… serrée dans mon poing… chaude et humide. J’étais là, dans la rue, sous une lanterne, et – j’ai vu. » Elle n’a pas les codes : « Je n’ai pas voulu demander l’argent à l’avance. C’était difficile. Je me… oui, je l’avoue tout bas… J’avais honte. » Le client part sans payer. Elle est bouleversée quand la patronne de l’hôtel borgne lui glisse deux marks dans la main.
Elle change de ville, d’abord Francfort puis Budapest où elle est engagée dans une revue de cabaret, elle passe apparemment du statut de putain à celui de cocotte. Là encore des « messieurs », « galants » visqueux qui la dégoûtent autant que les clients de Cologne. On lui fait le baisemain : « C’est comme un escargot glissant sur ma peau ». Elle achète un missel, veut prier, y parvient mal. Se trouve laide. « Je fais acte de contrition en crachant trois fois par jour sur mon reflet dans le miroir de fête foraine, que je garde sous mon oreiller. »
À la fin du récit, elle est malade, les copines pleurent avec elle. « Je vois toutes les filles sourire à travers leurs larmes. C’est le sourire de Dieu qui se reflète dans leurs yeux. » Un beau mélo lumpen, quasi brechtien, et une quête intérieure qui touche au mystique.

Jérôme Delclos

La Flétrissure
Emmy Hennings
Traduit de l’allemand par Sacha Zilberfarb
Monts Métallifères, 212 pages, 19,70

Une marque allemande Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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