Ce livre n’est pas un roman, c’est un ruban : l’écriture de Catherine Shan, née Catherine N’Diaye, emprunte à cette parure souple, fine, littéralement attachante, sa fluidité et son génie. Ce texte peu ordinaire, cet « essai libre » sur la littérature, l’art, la création, est le dernier laissé par l’auteure. Catherine Shan n’en avait pas totalement bouclé les finitions, quand la mort est venue. Écrit comme on coud, comme on brode, tête baissée sur l’ouvrage, Le Roman du ruban ressemble à une lettre – adressée, non à un jeune poète, mais au peuple mystérieux des lecteurs.
C’est la rêverie d’une érudite, les réflexions d’une vagabonde, qui ne cesse de s’interroger et d’interroger le peuple également mystérieux des créateurs : d’Édouard Manet (et son Olympia) à Homère (et son Odyssée), de Marcel Proust à Robert Musil ou à Virginia Woolf, sans oublier Rousseau (elle y revient souvent), Bachelard et Lacan, Catherine Shan tisse sous nos yeux une fabuleuse cosmogonie.
Où commence le monde ? Qui a le dernier mot ? Quand Ulysse prend la parole, au banquet des Phéaciens, ce que l’on entend alors est « un récit qui n’a jamais été entendu. Qui entre dans le cercle enchanté de la littérature. Qui l’ouvre, qui en tend tous les fils. Qui tient entre ses lignes, dans ses maillages, ses boucles, ses doubles boucles et ses nœuds tous les récits qui parleront comme de l’au-delà par la voix de quelqu’un qui n’est pas au-dessus de nos têtes, ni un être de légende, ni une ombre immense au-dessus de nos vies, qui est notre semblable avec ses dires d’amoureux, sa robuste parole de marin, ses histoires de vie, de voyages (…) ».
Née à Baccarat, Catherine N’Diaye a vécu et écrit entre la France et l’Afrique. C’est en classe d’hypokhâgne qu’elle découvre Platon, sur les plages de Mauritanie et dans les sables du Sahel qu’elle apprend que « tout ce qui arrive revient » et s’émerveille des récits « qui font des premiers dieux, des tisserands et des vanniers ».
Journaliste et femme de lettres, également scénariste et réalisatrice, Catherine N’Diaye avait été membre du prix de l’Astrolabe et du prix Nicolas Bouvier. Elle avait fait paraître plusieurs livres, romans ou essais, notamment Gens de sable (P.O.L, 1984), qui dit son attachement profond au Sénégal, La Coquetterie ou la passion du détail (Autrement, 1987), ou Sa vie africaine (Gallimard, 2007) – sous le nom de Catherine Shan –, où elle évoque sa mère et la rupture avec son père. Élégante, gourmande, savante, Catherine N’Diaye/Shan a passé les dernières années de sa vie à écrire Le Roman du ruban. Comme un fil de soie ultime, satin précieux, dernier cordage lancé vers nous.
Catherine Simon
Le Roman du ruban
Catherine Shan
La Bibliothèque, 240 pages, 21 €
Domaine français La création comme un ruban
mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251
| par
Catherine Simon
Dans un ultime geste littéraire, Catherine Shan (1952-2018) tisse sous nos yeux une fabuleuse cosmogonie.
Un livre
La création comme un ruban
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°251
, mars 2024.