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Domaine français Une histoire française

mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251 | par Thierry Guichard

Le premier roman de Lolita Sene, un été chez jida, renoue avec ses racines kabyles, une Histoire douloureuse et l’indicible violence faite à une enfant. L’écriture comme un baume.

Elle est aujourd’hui vigneronne, produit des vins subtils et joyeux auxquels elle donne parfois un nom venu de l’enfance comme à son cinsault de soif, Couscous. Et peut-être a-t-elle appris en soignant avec de la valériane les vignes blessées par la grêle, qu’on peut appliquer sur les blessures de quoi cicatriser les plaies et renforcer les corps. Un été chez Jida est un roman qui soigne, où les mots viennent de loin, sont posés sur la page avec une précaution qui les rend plus prégnants. Roman parcellaire, fait de chapitres courts qui sont comme des pièces d’un puzzle difficile à reconstituer, le livre rassemble trois générations bousculées par l’Histoire : celle de l’Algérie, des harkis cocufiés par la France, de l’exil et de la honte, de la violence qui passe de la guerre qu’on fait dehors à celle qu’on impose au sein même de la famille. C’est aussi un roman sur le mensonge qu’une famille disloquée s’invente pour maintenir un semblant d’unité. Lolita Sene avance doucement, saisit les silences de sa mère, la stature totémique d’une grand-mère gardienne de la mythologie familiale. Elle exhume d’une mémoire, qu’on aurait voulu qu’elle garde close comme un tombeau, le souvenir douloureux de l’abus dont elle fut, enfant, la victime. L’été chez Jida, c’est du henné et des plats qu’on prépare ensemble, restaurant en France la Kabylie qu’on a fuie. Ce sont des enfants, une cousine qui aurait pu être une sœur, des cousins qui sont des mâles et tirent donc les cheveux des filles. Ce sont des oncles et des tantes, une vie bruyante sur quoi règne Jida la grand-mère aux canines en or. Et avec elle la mémoire de son mari Mohand, vénéré par Leila la mère de la narratrice, statufié en commandeur lui qui pourtant imbibé d’anisette tortura une de ses filles trop assoiffée de vie à son goût. La violence de Mohand en engendre d’autres puisqu’il permet aux fils de faire ce qu’il interdit aux filles. Mohand est mort, mais il reste présent chez Jida.
Lolita Sene est équitable : au procès qu’elle préside, elle se fait procureur comme avocat de la défense. Elle saisit la violence faite à ces réfugiés considérés comme des traîtres par les Arabes, comme une menace pour les bons Français. Elle mesure ce que disent les silences de Leïla, la gêne dont elle est elle-même à l’origine. Car chez Jida l’été, il y a Ziri le garçon préféré de la grand-mère, le séducteur. Ziri qui fera de ses nièces des proies faciles, et de la narratrice une femme à jamais blessée. Le puzzle est difficile à reconstituer : la mémoire a voulu effacer les scènes impossibles à raconter. Quand la jeune fille veut dénoncer ce que Ziri lui fait, elle se heurte au déni familial, se retrouve exilée du cercle des exilés : « j’enfonce ma tête dans l’oreiller et ma confession au fond de mon ventre. » Elle s’enferme en elle-même, envoyant dans le monde, son propre spectre : « J’imagine que si je croisais aujourd’hui un professeur de cette époque, il aurait beaucoup de peine à se rappeler mon prénom, mon visage. Je passe ces années comme un fantôme. Je réussis à grandir en évitant ce qui me touche et peut me faire mal, en évitant la peur. (…) Il faut se méfier des sourires des enfants trop sages. »
Mais le roman n’est pas un procès, il est une guérison. La vigneronne découvre que tout près de ses vignes se trouvent « les vestiges de l’ancien camp de harkis, mieux connus sous le nom de Saint-Maurice-l’Ardoise. (…) (…) on a parqué Mohand, à cause des deux balles dans son bras, suivi plus tard par Jida et ses enfants. Je les imagine, comme s’ils me racontaient, comme si je savais déjà. » Le roman se résout là, dans ce savoir enfoui qui refait surface avec des mots qui effacent le silence et les mensonges et qui offrent à celle qui écrit la force de cracher une confession longtemps enfouie dans son ventre. Pour vivre enfin libérée.

Thierry Guichard

Un été chez Jida
Lolita Sene
Le Cherche midi, 168 pages, 18,50

Une histoire française Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°251 , mars 2024.
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