La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Les mots et la mort

juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245 | par Richard Blin

Dans une traduction contemporaine de ses textes de jeunesse, on découvre un Peter Handke à situer quelque part entre Kafka et Robbe-Grillet, et pas très loin du Meursault de Camus.

Bienvenue au conseil de surveillance

Recueil de textes de jeunesse écrits entre 1963 et 1966, paru pour la première fois en 1967 et traduit en français – par Georges-Arthur Goldschmidt – en 1986 (Christian Bourgois), Bienvenue au conseil de surveillance reparaît aujourd’hui dans une nouvelle traduction et augmenté de deux textes (21 au total). Il permet de découvrir la manière du premier Handke, un auteur à l’œuvre particulièrement protéiforme.
Né en Autriche en 1942, prix Nobel de littérature en 2019, Peter Handke appartient à cette génération d’écrivains de langue allemande traumatisée par la barbarie nazie. Ses débuts dans le métier d’écrivain, au milieu des années 1960, coïncident avec une période de contestation et il n’est pas étonnant qu’il se soit fait connaître par des coups d’éclat comme la prise à partie des spectateurs lors de la première d’ Outrage au public, au théâtre de Francfort, en 1966, ou, la même année, par son intervention très critique lors du colloque du Groupe 47 – fondé par Günter Grass et Ingeborg Bachmann –, à Princeton où, jeune écrivain inconnu, il n’hésite pas à engager une polémique en critiquant le Nouveau Réalisme prôné par le Groupe. « On se contente d’utiliser le langage. On l’utilise pour décrire, mais sans que bouge quelque chose dans le langage lui-même. Le langage reste mort, sans mouvement, servant seulement d’enseigne aux choses (…). Mais on oublie qu’il est possible, avec le langage, de retourner littéralement chaque chose. » Une prise de position qui aura raison du Groupe. Il a 24 ans, les cheveux longs et l’accoutrement d’un contemporain de la génération des Beatles, et va bientôt faire le choix d’une existence vagabonde attiré par l’étranger.
Un an après paraît donc Bienvenue au conseil de surveillance. Les nouvelles qu’il rassemble ont toutes un point commun, la violence, et une figure centrale, la mort, dans le déroulement de laquelle le lecteur est, bon gré mal gré, entraîné ou impliqué. Dans le texte qui donne son titre actuel au livre, le discours d’un président de société venu annoncer à ses actionnaires le montant de leur dividende, s’achève, au milieu des craquements de la charpente et du déchaînement de la tempête, sur un appel au secours désespéré. Dans « Récit d’un témoin oculaire », le lecteur se retrouve dans la situation du témoin qui assiste jusqu’à l’irregardable à un atroce assassinat. Dans « Le feu », dont l’action se déroule sous un chapiteau de cirque, Handke jongle si diaboliquement avec les temps et les personnes des verbes que l’on se demande s’il n’est pas lui-même l’auteur, en imagination, de l’incendie évoqué. « Toi, tu es assis là et tu laisses la tempête rouge pénétrer dans ta bouche, tu la laisses pénétrer dans ta tête où elle enfle et brûle…  »
L’autre particularité de ces textes est de se présenter comme des pastiches – du style juridique, dans « La loi martiale », du roman du Far-West dans « Sacramento » – et d’emprunter largement aux formes du cinéma (on sait que Handke deviendra l’ami, et plusieurs fois le scénariste, de Wim Wenders) comme dans « Les paroles et les actes du père dans le champ de maïs », un texte qui se veut la bande-annonce d’un film. Par-delà l’influence du Nouveau Roman, et sans égard pour les lisibilités apprises, Handke tente de donner forme à quelque chose qu’il serait le seul à voir. D’où les rapports d’étrangeté, de violence et d’humilité qu’il a avec le langage. L’ensemble de ces textes sont ainsi autant de jalons sur un chemin initiatique visant à sortir la langue de ses habitudes, et poursuivant la mise au point d’un processus d’écriture capable de faire correspondre le regard à ce qui est nommé. Ce qui passe, ici, par une écriture dénuée de tout affect, ni objective, ni subjective, mais neutre, décalée, oscillant entre les deux points de vue.
Trop conscient que la littérature n’est, comme il le dit, qu’« une prune en regard d’une goutte de sang qui est toute chaude », Handke cherche une langue qui puisse accueillir la réalité et l’investir telle qu’elle est, dans un double mouvement de création et de destruction. Et c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce recueil qui montre un Peter Handke en train d’inventer un regard qui ne soit ni trop proche ni trop lointain, ni détaché ni obscène. Qui montre aussi un homme qui n’a pas peur du pire et prouve que l’art peut tout prendre pour objet. Sans compter que l’on peut voir, dans cette façon de puiser dans la monstruosité du réel, une manière de nous rappeler qu’il n’est pas d’art sans violence.

Richard Blin

Bienvenue au conseil de surveillance
de Peter Handke
Traduit de l’allemand (Autriche) par Laurent Cassagnau,
Christian Bourgois, 208 pages, 20

Les mots et la mort Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°245 , juillet 2023.
LMDA papier n°245
6,90 
LMDA PDF n°245
4,00