P.O.L futur, ancien, actuel
Comment se repérer dans une maison qui abrite plus de 1300 titres et où cohabitent Marie Darrieussecq et Leslie Kaplan, Guillaume Dustan et Charles Pennequin ? En reprenant le titre de l’ouvrage d’Olivier Cadiot, Futur, ancien, fugitif paru chez P.O.L en 1993, les auteurs universitaires de P.O.L futur ancien actuel mettent d’emblée l’accent sur la plasticité générique des éditions créées par Paul Otchakovsky-Laurens il y a quarante ans. Ainsi, le livre de Cadiot, au croisement des genres poétique, romanesque et théâtral, pointe une partie du territoire exploré par les différents livres du catalogue au cours du temps. Les actes du colloque tenu au printemps 2022 (à l’université de Poitiers puis de Paris 7), plutôt qu’à catégoriser de façon exhaustive les auteurs et à définir une « ligne éditoriale », invitent le lecteur à se promener dans cette communauté mouvante. Selon une belle formule de l’introduction co-écrite par Stéphane Bikialo, Maryline Heck et Dominique Rabaté, il s’agit pour P.O.L, puis pour la critique de dessiner « plusieurs visages du contemporain ». Les traits qu’ils dégagent sont les dimensions « expérimentale » et « documentaire ou non fictionnelle », le « rapport de la littérature et des autres arts » et la « faible présence de la littérature étrangère ».
En ne mettant au centre ni les romans ni les « têtes d’affiche » comme Emmanuel Carrère, et en s’intéressant notamment au « pôle poésie » et au « pôle cinéma », les auteurs rendent compte de la dimension de laboratoire prise par la maison P.O.L, en parallèle puis peut-être en relais des Éditions de Minuit. Des articles comme « Faire école sans école ? P.O.L et la génération des années 1990 » de Heiata Julienne-Ista ou « La place de l’autre : Bernard Noël, etc. » de Stéphane Bikialo montrent bien les effets d’aimantation des singularités dans une maison quasiment sans collection à proprement parler (la revue Trafic mise à part) et l’importance de la poésie que Paul Otchakovsky-Laurens considérait comme le « noyau dur de la littérature ». Les entretiens avec Cadiot, Pennequin ou Gérard Gavarry et Jacques Jouet, l’intervention de Quintane soulignent cette dimension de « tête chercheuse ».
C’est également le parcours singulier d’un éditeur, d’étudiant en droit à directeur de collection chez Hachette où il publie La Vie mode d’emploi de Georges Perec en 1978, mais aussi critique de cinéma (commentateur puis éditeur de Godard), ouvert aux arts que retracent les différentes contributions. La personnalité de lecteur hospitalier et inconditionnel, accordant une forme de « garantie d’emploi » des livres (selon Quintane), est mise à l’honneur par tous, sans que l’intelligence économique d’un homme de « grandes maisons » (Olivier Bessard-Banquy) et aussi de best-sellers, ainsi que les divergences (comme celle avec Camille Laurens) ne soient occultées. L’hommage et l’émotion rendent l’« Éditeur » (titre de son second film) très présent dans cette évocation collective, qui donne également de la place à son successeur Frédéric Boyer et à Jean-Paul Hirsch.
Facile d’accès et stimulant, quoiqu’inégal, P.O.L futur ancien actuel ouvre plusieurs chantiers d’études. D’abord, en esquissant la diversité des medium artistiques (ainsi des vidéos et des ateliers du site de P.O.L), il fait signe vers une « sortie du livre » qu’un nouveau colloque étudiera, en octobre 2023. Ensuite, il met en valeur la puissance de suggestion de P.O.L, ce qu’il faudrait appeler un essaimage de lectures, que ce soit à travers de rares mais précieuses traductions comme L’Odyssée d’Emmanuel Lascoux ou les références à la poésie américaine (voir Abigail Lang dans « Une Amérique P.O.L ? »). C’est de ces lectures désirantes dont on peut être redevables, au Matricule et ailleurs, à P.O.L.
Chloé Brendlé
P.O.L futur ancien actuel,
dir. par Stéphane Bikialo, Maryline Heck, Dominique Rabaté
Les Presses du réel, 404 pages, 24 €
