Je suis née en 1977 dans une centrale nucléaire, au sud de la Corée du Sud. » Cette première phrase, imparable, aussi provocatrice que joueuse, claque et donne d’emblée le ton tout en finesse et dérision de Generator, récit d’une quête d’identité mâtiné d’un road-trip insolite au gré de centrales nucléaires, à moins que ce ne soit l’inverse… À peine quelques pages plus loin, les choses se précisent : « Je suis née dans la centrale nucléaire de Kori 1, d’une mère déterminée et orgueilleuse et d’un type qui pourrait bien être un salaud. » Une banale aventure amoureuse sur le lieu de travail, qui ne s’évapore pas aussi vite que la fumée de réacteurs, et laisse une enfant non reconnue… À 40 ans, Rinny Gremaud « décrète la fin d’une époque », rompt le silence et s’en va à la recherche de ce père inconnu dit biologique, ingénieur british en mission pour Gec Turbine Generators en Corée du Sud, pays qu’il quitte vite pour l’ailleurs – d’autres missions, une autre famille. Elle fonce sur les traces de cet homme, du Pays de Galles au Michigan (dernière adresse trouvée), en passant par Taïwan ou le lac Érié, là où surgissent des « cathédrales à turbines, des promesses de chaleur et de lumière ». Des dernières décennies du XXe siècle à aujourd’hui, la journaliste méticuleuse volontiers historienne démonte le mythe de l’atome, du progrès, l’optimiste industriel qui allait changer le cours de nos vies, oui, nous allions vivre sans crainte une « utopie nucléaire », car, bien sûr, tout est sous contrôle : « Il m’arrive même de songer, au moment de faire tourner mon lave-vaisselle, que c’est peut-être avec la démocratisation de l’électroménager que s’est enclenché, irrémédiablement, le début de la fin du monde. »
Rinny Grimaud excelle à mener de front investigation et récit intime, exploration concrète et analyse politique. Elle marie le personnel et l’universel avec humour, une sorte d’élégance bienfaisante. Déjà, l’auteure nous avait surpris avec son Monde en toc (Seuil, 2018), un récit de voyage au cœur de la société de consommation, de centres commerciaux gigantesques en centres commerciaux gigantesques qui ont conquis la planète. Aujourd’hui, avec Generator – mot anglais fascinant oscillant entre engendrement et énergie, filiation et réaction (nucléaire) – elle prétexte la recherche d’un père et laisse libre cours à son inflexible talent de décrypteuse du monde. Malicieuse, Rinny Gremaud tient à distance ses démons et se moque d’elle-même, de son entreprise. « Et si je faisais de toi une fiction ? » lance-t-elle à l’inconnu qui ne prit pas la peine de répondre à sa missive. « C’est ta lâcheté qui m’aura rendue toute-puissante. » Enfin libre, l’auteure invente une destinée à ce géniteur fantôme, glisse subrepticement du côté du roman, et règle une fois pour toutes ses comptes avec lui. Vivifiant !
Martine Laval
Generator
Rinny Gremaud
Sabine Wespieser, 238 pages, 21 €
Domaine français Mon père, l’atome et moi
mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243
| par
Martine Laval
À la recherche de son géniteur, Rinny Gremaud visite les lieux où il travailla : des centrales nucléaires. Récit à double tranchant… et décapant.
Des livres
Mon père, l’atome et moi
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°243
, mai 2023.