La Manouba est un quartier de Tunis, connu pour son hôpital psychiatrique et sa prison. C’est là qu’un jour de l’année 2013, Pauline Hillier, militante du mouvement Femen, et deux autres Européennes ont été embastillées, après avoir manifesté dans les rues de la capitale, « seins nus, le poing levé et les cheveux sertis de fleurs », en solidarité avec une jeune « Tunisienne emprisonnée pour avoir défendu la liberté des femmes ». L’histoire a fait grand bruit à l’époque et l’allusion à la blogueuse Amina Sboui, elle-même membre éphémère des Femen, est claire. Mais le sujet du livre est ailleurs : derrière les grilles de la Manouba, la « mangeuse de femmes ».
Pauline Hillier y est restée un mois – rien, comparé aux lourdes peines infligées à ses codétenues tunisiennes. Mais ce séjour a été comme « un raz-de-marée dans (sa) vie de petite française middle class, pleine de bonnes intentions et croyant tout savoir ». La jeune femme se souvient de chaque détail. Du « fourgon cabossé » et puant, qui l’emmène à la Manouba. De la gardienne qui lui attrape l’index et « l’écrase sur un tampon encreur », lui faisant ainsi parapher « tout un tas de documents en arabe », auxquels la jeune Française ne comprend rien, bien sûr. « Voilà ce qu’il reste de mon identité, un prénom et l’empreinte de mon index ». Par chance, on lui a laissé son exemplaire des Contemplations de Victor Hugo : elle y prendra des notes, tout le long de son séjour.
Dans la cellule/dortoir du pavillon D, elles sont une petite trentaine de femmes de tous âges, « des tueuses, des voleuses, des victimes d’erreurs judiciaires ». Pauline Hillier s’en méfie. Tout la dégoûte : les mouches, les cafards, l’odeur des toilettes « dont les cloisons ne vont pas jusqu’au plafond » et que son lit surplombe. Pourtant, dès le premier soir, elle reçoit l’aide de la douce Hafida, qui la réconforte, avant de lui offrir un morceau de pain et une dose de beurre. Plus tard la Française à la peau claire réalisera, en croisant des détenues africaines au visage tuméfié, à quel point le pavillon D est un havre de paix.
Peu à peu, l’étrangère se défait de ses appréhensions. Grâce à l’une de ses codétenues, elle a droit, un beau matin, à aller à la douche. Grâce à une autre, elle accède à la « cantine » et achète « un stylo, un cahier, du savon, du shampoing et deux paquets de cigarettes ». Grâce à Boutheina, la doyenne du pavillon, elle suit le feuilleton télévisé du soir et « les rivalités entre les nombreuses concubines du Sultan », le pire étant évité de justesse, « au grand dam de Boutheina qui espère toujours un bon petit bain de sang ».
Ses compagnes d’infortune ont vécu l’enfer de l’injustice, de la violence, de la misogynie. Elles y ont, pour certaines, répondu sauvagement. Les Contemplées, ce sont elles. Pauline Hillier leur rend un hommage bouleversant, témoignant de leurs vies abîmées, de leurs drames obscurs, de leur humanité. Non sans ambiguïté : ce récit rare, précieux, n’en est pas un. Il en a toutes les apparences, pourtant. Mais le mot témoignage n’est pas vraiment le bon.
Le terme de roman, pas plus que celui de récit, ne figure en couverture. Ce n’est qu’en fin d’ouvrage, que Pauline Hillier s’explique : Les Contemplées est une « œuvre de fiction », indique-t-elle dans une courte note. Elle a laissé son « imagination » soutenir sa « mémoire imparfaite » et « subroger aux omissions » de ses camarades de cellule. Elle précise, en outre, qu’elle a choisi de ne pas mettre en scène ses camarades Femen, incarcérées avec elle, afin de « ne pas en faire des personnages » et « les déposséder de leur histoire ». Les prisonnières tunisiennes n’auront pas l’occasion d’apprécier. Dommage. À moins qu’un jour, Les Contemplées soit traduit en arabe ?
Catherine Simon
Les Contemplées
Pauline Hillier
La Manufacture de livres, 184 pages, 18,90 €
Domaine français Pauline en prison
mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241
| par
Catherine Simon
Le récit romancé d’une ex-Femen détenue à la Manouba, en Tunisie.
Un livre
Pauline en prison
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°241
, mars 2023.