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Domaine étranger Des tortues et des lièvres

juillet 2022 | Le Matricule des Anges n°235 | par Camille Cloarec

Réédition du roman culte de Mary McCarthy (1912-1989), porté à l’écran par Sydney Lumet en 1966, toujours aussi percutant.

Des filles brillantes

Des filles brillantes (The Group en anglais), ce sont huit amies ayant étudié ensemble à Vassar, une prestigieuse université new-yorkaise par laquelle l’autrice est elle-même passée. Le récit s’ouvre une semaine après la remise des diplômes, alors que l’une d’entre elles se marie. Même si Kay est la première à franchir le pas, rien n’est traditionnel dans son union avec Harald. Ce dernier, qui se croit promis à une grande carrière de dramaturge, est sans le sou. Aucun membre de la famille n’a fait le déplacement, aucun voyage de noces n’est planifié, ce qui déstabilise et ravit les invitées. Car « ce qui serait terrible – là-dessus elles étaient toutes d’accord –, ce serait de devenir semblables à papa et maman, qui étaient “constipés”, qui avaient peur de tout ». La nouvelle génération entend bien faire table rase des choix ayant régi leur enfance.
Nous sommes en 1933, en plein cœur d’une classe sociale aisée quoique malmenée à la suite du krach de 1929. Les parents des étudiantes, qui étaient rentiers, entrepreneurs ou bien banquiers, ont souvent été poussés à modifier leur train de vie, à vendre un ou deux biens immobiliers voire à se mettre à travailler pour de vrai. Tout cela pour leur bien. « Être trop riche constitue un terrible handicap. On est en marge de la vie. La crise, par ailleurs si lourde de conséquences, avait eu d’heureux effets sur les privilégiés de ce monde. Les vraies valeurs, ils les connaissaient maintenant. »
L’ironie de Mary McCarthy, qui fréquenta un temps les milieux communistes, est savoureuse. Le milieu bourgeois qu’elle dépeint, tout en nuances (entre «  la trottinette » offerte à Helena par son père après l’obtention de son permis comprendre, une petite Ford et Norine qui affiche son budget hebdomadaire au centime près sur son frigo, il y a un monde), est parcouru de conservatisme, hanté par la hiérarchie et pétri de singularités. Chacune des femmes, à sa manière, désire s’en extirper. Que ce soit en se faisant dépuceler par un homme du peuple logeant dans une chambre de bonne, en se construisant une carrière professionnelle qui ouvre sur l’indépendance financière ou encore en entretenant une liaison avec un homme marié, toute rupture avec les conventions sociales est bonne à prendre.
La force de la narration consiste à aborder des sujets tabous d’un point de vue féminin (il n’y a guère que les femmes qui nous intéressent dans ce roman, leurs comportements et leurs ressentis) et féministe, sans aucune espèce de censure. Le chemin de croix pour avoir accès à une contraception fiable, les injonctions masculines liées à la maternité, la solitude dramatique du statut de femme au foyer : autant d’enjeux dont le récit s’empare à bras-le-corps, avec une lucidité pleine de sarcasme. « Les anciennes de la promotion se réunirent pour fêter le cinquième anniversaire de leur sortie de l’université, et déjà il y avait des divorcées ! Les tortues admiraient ces lièvres. Elles au moins avaient fait quelque chose… » Au centre des destinées, des aspirations et des renoncements du groupe d’amies se trouve le couple : il est quasiment impossible de se définir sans homme à ses côtés, et ce en dépit des violences conjugales et des agressions sexuelles desquelles leur milieu ne les protège pas. Le racisme ordinaire (les domestiques noires occupant les cuisines sont omniprésentes), le flou artistique qui règne autour des maladies psychiatriques ou encore le ramassis de stupidités associé à l’homosexualité font quant à eux partie du paysage, au même titre que le coût des loyers ou la topographie de New York.
Il faudra continuer à procéder régulièrement à de nouveaux tirages de Des filles brillantes, afin de ne pas perdre de vue le long et pénible combat des femmes qui est loin d’être fini pour obtenir leur liberté : en 2022 le roman résonne encore, malheureusement, avec beaucoup d’avant-gardisme.

Camille Cloarec

Des filles brillantes
Mary McCarthy
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Gentien et Jean-René Fenwick
Belfond, 542 pages, 14

Des tortues et des lièvres Par Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°235 , juillet 2022.
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