Il n’a débarqué au Vietnam que depuis un mois lorsque le première classe Eriksson, 21 ans, est affecté avec quatre autres recrues à une patrouille de reconnaissance dans un secteur des hauts plateaux pour y débusquer le Viêt-Cong. Il croit d’abord à « une vieille blague au sein de la section » lorsque, leur feuille de route établie, le sergent leur promet qu’ils allaient « prendre du bon temps durant la mission » : mettre la main sur une fille, s’en amuser pendant cinq jours « pour le moral des troupes » et s’en débarrasser pour effacer tout risque d’accusation. Mais dès le premier village croisé, la jeune Phan Thi Mao est enlevée, et la plaisanterie mise à exécution : séquestrée et violée, la jeune femme est assassinée le 19 novembre 1966. Une exaction collective à laquelle refuse de participer Eriksson malgré les insultes et les menaces. Submergé par la nausée et la culpabilité – son impuissance et son incapacité à agir ayant valu condamnation à mort pour la jeune fille –, il jure alors « à Dieu que si jamais (il s)’en sortai(t) vivant, (il) allai(t) faire tout (s)on possible pour que ces hommes paient pour ce qu’ils ont fait ». C’est toute l’histoire de cet homme, fragile conscience morale face à une hiérarchie complaisante, puis face la justice militaire lorsque s’ouvre à son instigation le procès de ces « soldats exemplaires » devant la Cour martiale, que retrace l’article du journaliste Daniel Lang, initialement publié dans le New Yorker Magazine en 1969. Cette histoire glaçante bouleversa une Amérique bien-pensante qui n’en était pas à une contradiction près, révélant l’indifférence face aux « dégâts collatéraux » et finalement tout « naturels » de la guerre. Mais elle dresse aussi le constat terrifiant de ce que le système même de la discipline militaire fait aux hommes : déshumanisation, déresponsabilisation, démission collective et individuelle.
Valérie Nigdélian
Incident sur la colline 192. Victimes de guerre, de Daniel Lang, traduit de l’américain par Julien Besse, Allia, 128 pages, 8 €
Domaine étranger Bons soldats
février 2018 | Le Matricule des Anges n°190
| par
Valérie Nigdélian
Un livre
Bons soldats
Par
Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°190
, février 2018.