Troisième roman à être traduit en français du jeune Andrés Neuman, Bariloche frappe immédiatement par la puissance et la singularité de sa verve. Ses personnages, Demetrio et Negro, débordent d’énergie dès l’aube. Tout en vidant la ville de ses ordures, les voilà qui s’arrêtent en chemin boire un café, hélant les belles femmes au passage. Infatigables observateurs de Buenos Aires, dont ils semblent connaître la moindre intersection, ils se réjouissent des microscopiques changements et des minuscules détails quotidiens. Ils partagent la même naïveté et le même enthousiasme : si Negro est un doux rêveur, à la « démarche si caractéristique, à mi-chemin entre le faux pas et la foulée de course, la détermination et la gaucherie », Demetrio est hanté par une obsession d’enfant, celle des puzzles. Un peu comme le Bartlebooth de La Vie mode d’emploi, il « éprouve le besoin de conserver une image non morcelée » des paysages ressemblant à Bariloche, dans le Rio Negro, la province de son enfance.
L’écriture d’Andrés Neuman, pleine de couleurs et de nervosité, procède selon de courts chapitres alternant la première et la troisième personnes du singulier, et intègre allègrement le discours direct à la narration. Au cœur de cette cacophonie de sons, d’émotions et d’odeurs, Buenos Aires devient une femme qui « haussait les épaules », peuplée de déchets et d’êtres marginaux, bercée par une routine enchantée ponctuée de bistrots et de saleté. Malgré la difficulté matérielle de ses habitants les plus pauvres, le monde est joyeux et léger. Mais Demetrio, figure isolée au centre de cette mosaïque, tout à la fois exalté et rongé par son passé, qui recueillerait tous les sans-abri et trompe pourtant son meilleur ami, demeure à tout jamais insaisissable pour le lecteur. Une énigme qui rappelle celle de Perec, et qui apparente Neuman, comme l’écrivait avec justesse Bolaño, à « la littérature de haute volée ».
Camille Cloarec
Bariloche d’Andrés Neuman
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandre Carrasco, Buchet-Chastel, 180 p., 18 €
Domaine étranger
janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189
| par
Camille Cloarec
Un livre
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°189
, janvier 2018.