Lorsqu’il ne voyage pas en terres sibérienne ou argentine, Christian Garcin rend visite aux écrivains qu’il aime. Subrepticement et incognito. Dans un recueil qu’il avait nommé d’abord Une théorie d’écrivains (Théodore Balmoral, 2001), et qu’il renouvelle aujourd’hui en y greffant un chapitre consacré aux mouettes de W. C. Williams, il a réuni les impressions que lui ont laissées ces visites. Dans la peau d’un observateur pas toujours si neutre, il s’est glissé dans le premier bateau du Polonais Teodor Józef Korand Korneziowski (c’est leur premier voyage), a soulevé boulevard Saint-Germain les tapis de l’intimité (finissante) de Marie Laurencin et d’Apollinaire, rend visite à Mishima, Hemingway, Celan ou commande des leçons de piano pour sa fille à l’Uruguayen Felisberto Hernández (1902-1964), le fondateur de la modernité en Amérique latine dont on attend toujours la réédition des Œuvres complètes (Seuil, 1997) pleine de ses « sarabandes mentales » (Calvino), et en particulier de cette nouvelle où il s’invite dans des maisons inconnues… Tous ici sont palpables et tels qu’on peut l’être dans la société des Hommes, et non plus dans leurs fantasmes. « J’ai rencontré Franz Kafka hier, m’a dit Simon, et je ne l’ai pas reconnu. Il avait maigri au point que son pardessus gris, celui qui le serrait un peu aux épaules, lui était à présent si ample qu’on aurait pu croire qu’il avait enfilé par erreur celui de son père. » Avec ce livre, Christian Garcin a tressé les matériaux du quotidien et le vertige de l’étrangeté pour rendre hommage aux littérateurs qu’il aime. Preuve que la métalittérature, docte et frigide souvent, peut être agréable et pleine d’une douce incitation à la lecture.
Éric Dussert
Entrer dans des maisons inconnues de Christian Garcin, Finitude, 102 pages, 13,50 €
Domaine français Reportages subreptices
octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167
| par
Éric Dussert
Un livre
Reportages subreptices
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°167
, octobre 2015.