Jérôme rend visite à Anna dans un centre spécialisé. Apathique, elle semble avoir tout oublié de leur relation passée et demeure insensible à ses sollicitations. Anna laisse ses pensées errer, divaguer, en fuite, en lutte. Une détresse incomprise par Jérôme, qui se sent vaguement coupable : « Alors tout recommençait, les traites, les études à financer, les charges à payer, il ou elle, exaspéré, vociférant, poussait des cris à la limite de l’aboiement ». Anna remplit sa vie mentale de détails apparemment insignifiants, mais vers lesquels convergent souvenirs et questionnements. Sans s’en rendre compte, Jérôme, par son insistance, aide Anna à faire face à un passé tragique. Des traumatismes qui provoquent chez elles cauchemars et terreurs nocturnes. L’isolement du lieu a aussi sa part d’influence : « L’imaginaire se déploie férocement lorsqu’on est coupé du monde extérieur. » Lentement, Anna assume sa liberté nouvelle, le droit imprescriptible de refuser un modèle social qui lui impose un rôle subalterne, une existence soumise au mâle dominant : « La mémoire allait revenir. Et avec elle le souvenir et les souffrances ».
Les premières pages du roman de Gisèle Fournier sont clairement durassiennes. L’amour, l’oubli, le deuil impossible, l’urgence de la rencontre sont admirablement mis en valeur par des phrases percutantes, à la fois cinglantes et allégoriques. Le passé envahit le présent, le phagocyte tout entier : « La nuit. Étale. Interminable. Qui dévore les reliefs. Les couleurs. Qui avale tout. Sauf l’angoisse. La détresse. L’impuissance face au monde ». Puis vient un second temps du récit, plus dialogué, moins référentiel, plus violent aussi. Un huis clos doublé d’un face à face étouffant, le tout pour une renaissance en épiphanie.
F. M.
Tangage
Gisèle Fournier
Mercure de France, 148 pages, 15 €
Domaine français Tangage
mai 2014 | Le Matricule des Anges n°153
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°153
, mai 2014.