António Lobo Antunes, les âmes nocturnes
Traducteur français d’António Lobo Antunes, depuis Mon nom est légion paru en 2011, Dominique Nédellec n’est pas du genre à se mettre sous le feu des projecteurs. D’une humilité qui frise l’arrogance, ce Figeacois accorde le français aux tonalités multiples des voix de Lobo Antunes comme si cette langue coulait de source. Travail d’orfèvre qui permet aux moindres accords de générer une puissance d’évocation propre à mettre le lecteur en orbite. Lecteur de l’écrivain portugais avant d’en parler la langue, c’est durant un séjour à Lisbonne qu’il s’est mis à la traduction. Et au démarchage d’éditeurs pour permettre la publication de pépites lusophones qu’il a rapportées.
Dominique Nédellec, comment êtes-vous devenu le traducteur d’António Lobo Antunes, qui est un écrivain très attentif aux traductions en français ?
Il souhaitait changer de traducteur. Fin 2009, les éditions Bourgois m’ont donné une vingtaine de pages d’un de ses livres à traduire, en guise de test. Cet échantillon lui a plu et, début 2010, nous avons signé le contrat pour Mon nom est légion. Puis nous nous sommes rencontrés une première fois en mars 2010. Tout cela me semblait assez miraculeux. Depuis, il n’a cessé de me renouveler sa confiance, avec une grande générosité, beaucoup de chaleur et même de tendresse. L’aventure continue : je viens de rendre la traduction d’un quatrième livre à Dominique Bourgois.
Mais vous connaissiez l’œuvre avant de traduire les nouveaux titres ? Et comment Bourgois vous a-t-il découvert ? Quel parcours de traducteur aviez-vous effectué alors ?
Je l’avais déjà lu, bien sûr. Mes premières lectures remontent à une époque lointaine où j’ignorais encore que j’allais un jour décider d’apprendre la langue portugaise pour partir vivre à Lisbonne. Je suis un autodidacte tardif, tant pour le portugais que pour l’art de traduire. Installé sur les rives du Tage entre 2002 et 2006, je gagnais ma vie comme traducteur technique. Côté littéraire, j’ai commencé à faire des propositions spontanées à des éditeurs. En 2003, j’ai envoyé ma première traduction à un éditeur suisse audacieux, La Joie de lire, qui l’a publiée. Il s’agissait de Monsieur Valéry, de Gonçalo M. Tavares, un auteur qui commençait alors à faire parler de lui au Portugal mais dont aucun livre n’avait encore été traduit. Depuis, son œuvre est publiée en France par Viviane Hamy, pour qui j’ai traduit près d’une dizaine de titres. De la même manière, j’avais choisi, traduit et préfacé un recueil de textes de Wenceslau de Moraes, marin, diplomate et écrivain délicat ayant vécu l’essentiel de sa vie au Japon au début du XXe siècle. J’ai fait des envois ciblés et le livre a paru tel que je l’avais conçu chez Phébus en 2005. Même démarche pour une BD de José Carlos Fernandes, la série culte « Le Plus Mauvais Groupe du monde ». Un style très littéraire, ultra-référencé, délicieusement absurde. J’ai traduit deux tomes, fait des photocopies couleurs, rempli les...