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Domaine étranger Le Tort du soldat

mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151 | par Martine Laval

Le Tort du soldat

Et voici que l’on retrouve enfin la prose tranchante, douce et impitoyable, si inattendue et tant espérée de l’écrivain Erri De Luca. Le Tort du soldat est un récit à deux voix. En premier, Erri De Luca se met en scène. Le jour, il sonde les roches, se fond dans la montagne. Le soir, à une table d’auberge, il mange et traduit pour une maison d’édition italienne des récits en yiddish du frère du prix Nobel, Israel Joshua Singer. Il nous dit : « Le yiddish ressemble à mon napolitain, deux langues de grande foule dans des espaces étroits. Elles sont donc rapides, composées de mots apocopés, capables de se faire de la place au milieu des cris. » Et déjà, l’on entend le bruit du monde, son histoire, sa fureur, sa barbarie. En second, l’auteur donne sa plume à une femme, celle attablée non loin de lui dans la même auberge, aperçue une fugace fois. Elle commence ainsi son récit : « Je me suis décidée à écrire cette histoire pour ceux qui pourront la comprendre mieux que moi. J’espère qu’un lecteur me l’expliquera un jour. Celui qui est partie prenante de l’aventure reste empêtré dedans. Il a besoin d’une main secourable qui la lui démêlera de l’extérieur. » Erri De Luca s’en remet à la fiction pour percer le mystère de la vie. Cette femme nous apprend à tâtons comment elle-même apprit mais elle de façon violente qu’elle est fille d’un criminel nazi. Comment dire « papa » ? Comment portez un faux nom ? Comment vivre avec cet homme qui se cache, qui se fait muet de peur que l’on ne le reconnaisse rien qu’à la voix ? Elle reçoit un père en héritage : « Je n’ai pas voulu remonter plus loin que ma naissance. Je ne me sens aucune affinité avec d’autres enfants de criminel de guerre. Chacun s’est arrangé selon la rouille qu’il a trouvée dans son sang. »
Erri De Luca se donne d’un bloc en peu de phrases. Il écrit comme pour réparer quelque chose de notre folle histoire, et par petits bouts de poésie, tente d’effacer l’oubli. De sa fenêtre, il regarde les arbres qu’il a plantés au fil des années car « celui qui fait l’écrivain doit rendre au monde un peu du bois abattu pour imprimer ses livres. » Erri De Luca, un cadeau de la nature…

Martine Laval

Le Tort du soldat
Erri de Luca
Traduit de l’italien par Danièle Valin
Gallimard, 96 p., 11

Le Matricule des Anges n°151 , mars 2014.
LMDA PDF n°151
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