Maryline Desbiolles a connu un tournant dans son parcours littéraire. À partir de son roman Primo (2005), elle a changé de paradigme : « Je n’invente plus rien. Je me sers des matériaux que j’ai sous la main, histoires familiales, du voisinage ou de la banlieue à quelques kilomètres de chez moi » (entretien avec Jean Birnbaum du Monde). Ceux qui reviennent n’échappe pas à cette profession de foi. En parcourant le cimetière d’Ugine (Savoie) et les collines alentour, elle se plonge dans son passé familial, mais aussi dans l’histoire d’une région traumatisée par l’Histoire. « Aller à Ugine, c’était aller vers les drames qui ont précédé ma naissance, drames d’autant plus obscurs que mal connus, mal dits, pas dits du tout, une allusion ». Et les secrets sont nombreux, comme cette double vie de l’un des ascendants, qui dévoile un beau jour tout un pan de l’arbre généalogique. Une branche qui s’est déployée de son côté, des inconnus qu’il faut faire siens : « ce pot aux roses, tant de liens nouveaux, d’histoires, d’autres voyages en perspective ». Car les rameaux sont aussi transfrontaliers et se déploient de l’arrière-pays niçois vers l’Italie : Bertaina, Benevento, des noms qu’il ne fait pas bon porter en France, pendant la Seconde Guerre mondiale. « La famille se voulait-elle si française qu’elle se conformait à l’idée qu’on se faisait en France des Italiens, pleutres, lâches, fuyant devant l’ennemi ? ». Et qui vaut aux grands-parents de l’auteure de voir leur magasin dynamité par de pseudo-héros : « W. et sa bande s’inventèrent résistants pour rançonner tant qu’ils pouvaient ». De l’intime à l’Histoire, aux faits divers locaux (la tuerie de Chevaline de 2012), Maryline Desbiolles tisse le destin d’une région et de ses habitants. De longues phrases qui semblent se nourrir d’elles-mêmes, des passages graphiques qui rappellent les poèmes en prose ouvrent sans cesse vers de nouveaux horizons : « L’écriture ne clôt rien mais cherche à déployer ce qu’on croyait perdu ».
F. M.
Ceux qui reviennent
Maryline Desbiolles
Seuil, 149 pages, 15 €
Domaine français Ceux qui reviennent
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°151
, mars 2014.