Après des expériences d’écritures à deux mains avec Mathias de Breyne et trois textes brefs aux Éditions du Caillou, Guillaume Boppe publie un livre dont l’étrangeté continue d’infuser longtemps après.
Depuis l’exiguïté d’un espace clos, un individu parle, le corps courbé sur une table. Une toile cirée colle au visage de celui qui questionne, cherche inlassablement quelque chose. Mais quoi ? Impossible de le savoir car le monde alentour non seulement échappe à tout repère spatio-temporel mais peut-être n’existe-t-il pas : « J’ai tenté de sortir/ mais quand j’ai voulu poser le pied / dehors il n’y avait plus rien ». Ce que l’on sait, en revanche, c’est que des êtres, des animaux, des « lèvres et des yeux partout autour » rôdent. À mesure que l’individu se délite, les objets acquièrent en autonomie et puissance. Tout vacille et la folie pourrait probablement prendre toute la place s’il n’y avait dans « l’humus de la mémoire » ce souvenir de l’absent(e). Discrète résurgence qui provoque paradoxalement le malaise tout autant qu’il semble garantir l’identité de celui qui parle : « Quand les fantômes sont là,/ ils grattent la langue/ en premier lieu ».
Cette langue, Guillaume Boppe nous la livre par un travail économe sur le vers, véritable charpente d’un récit qu’on aurait amputé de son histoire et de ses personnages. De ce grand mouvement elliptique ne subsiste qu’un regard affolé par sa propre myopie, tels ces « animaux qui vivaient dans les bois » dont les « yeux blancs » n’auraient jamais vu la lumière, comme si, est-il écrit plus loin, « autour de leurs paupières le jour/ ne s’était jamais posé ». On aurait presque l’impression qu’il y a dans cette lente traversée quelque chose du Lointain intérieur de Michaux et de l’univers post-apocalyptique de La Route de McCarthy.
Christine Plantec
Vague
Guillaume Boppe
Propos2 éditions, « Propos à demi », 72 pages, 11 €
Poésie Vague
novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138
| par
Christine Plantec
Un livre
Le Matricule des Anges n°138
, novembre 2012.