J’en avais marre de ce monde sans Super Héros. » Ainsi parle Captain Prospect : il a dans les 30 ans, garde secrète son identité, réside à Washington, prétend « aider les travailleurs de la capitale américaine », s’inspirant en cela de Spiderman et de Gandhi. On découvre ici d’autres comme lui : Blackbird, Professor Midnight, Zetaman, MrXtreme, Captain Jackson… tous rutilants, souvent encapés, peut-être tapés ? Pas même ne manque la schtroumpfette Tsaf au masque noir, laquelle semble plus athlétique que nombre de ses confrères. C’est donc un mouvement en voie d’expansion outre-Atlantique, désormais pourvu d’un nom – les Real Life Super Heroes – et de courants – les uns majoritaires se limitant à la charité, quelques autres espérant rétablir, mais oui, l’ordre. On peut évidemment en rire, ce que ce livre évite, ne prenant jamais son objet de haut, lui offrant même, sous sa magnifique couverture cartonnée, une voie d’accès esthétique autant que conceptuelle à la considération.
Il y a d’abord et principalement le travail de Pierre-Elie de Pibrac : sillonnant l’Amérique à la recherche des RLSH, il leur fait prendre la pose in situ. Les voilà donc remplissant les doubles pages, capes gonflées de vent ou issus de l’ombre, perchés sur les gratte-ciel et s’essayant aux acrobaties, bref sur le point d’agir. Puis l’artiste manipule la photo, l’incarne diversement, la disperse en éclats qui tour à tour magnifient et fragilisent ces figures alternativement commerciales et mélancoliques : ici l’incrustation des images sur du béton, de la brique, du bitume, manière de les inscrire définitivement dans leur paysage urbain, là leur réinvention en figurines-jouets couchés sur la neige industrielle comme dans des rêves d’enfant.
Seconde approche, celle des commentaires, où se distingue l’analyse sociologique d’Eric Maigret, qui précise les deux sources où s’abreuvent les RLSH : l’amour du prochain et l’amour de soi. À ma gauche l’héritage chrétien, l’idéal d’une communauté authentique, l’obsession de la local life ; à ma droite la passion individualiste, le costume comme instrument d’une singularisation extrême, « le cinéma personnel qui a besoin d’une action, d’un decorum, d’une dramatisation ». Ajoutez un angle mort lui aussi typiquement américain, l’apolitisme : « Une société où l’État s’est largement désengagé des grandes questions sociales peut compter sur ses héros du quotidien sans que ces derniers ne changent fondamentalement la donne. » Pour davantage de lutte des classes, il faut alors regarder plus au Sud, avec le Mexicain écarlate Superbarrio qui s’affronte aux promoteurs comme à l’administration, et donne la main aux bambins et aux prostituées.
Gilles Magniont
Real Life Super Heroes
Pierre-Elie de Pibrac
Serious Publishing, 136 pages, 29,90 €
Textes & images Même pas cape ?
octobre 2012 | Le Matricule des Anges n°137
| par
Gilles Magniont
Avec les photos de Pierre-Elie de Pibrac, voyage au pays des icônes et de la soupe populaire.
Un livre
Même pas cape ?
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°137
, octobre 2012.