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Intemporels L’amour au carré

septembre 2011 | Le Matricule des Anges n°126 | par Didier Garcia

Avec Les États du désert, Marc Cholodenko signait un roman où l’amour était à la fois expérience humaine et aventure romanesque.

Les Etats du désert

Tentons, pour commencer, d’y voir ne serait-ce qu’un peu clair dans ce roman d’une formidable densité (tant par sa phrase que par sa structure), couronné par le prix Médicis en 1976.
Au départ, nous avons seulement trois personnages : Paul, Hélène et Shad. Le premier a été l’amant des deux autres, mais il a été assassiné. L’intrigue se resserre donc rapidement autour de l’histoire d’amour vécue entre Hélène et Shad. Une intrigue, c’est d’ailleurs beaucoup dire (leur passion amoureuse ne durera que dix mois), la narration se trouvant régulièrement malmenée, contrariée, par de longues réflexions qui suspendent pendant quelques pages le développement de l’histoire. Ici, tout sera analysé, examiné, disséqué de manière presque maniaque, du simple fait de se réveiller aux côtés de l’être aimé jusqu’à ce sur quoi s’élabore leur relation. De cette histoire d’amour, Cholodenko ne présente guère que de brefs instants, choisis essentiellement pour leur intensité puis minutieusement exposés, de purs éclats de vie (à commencer par la rencontre que Shad fait d’Hélène, par l’intermédiaire d’une photo, sur laquelle elle n’apparaît que comme l’ombre d’un corps sur le sable d’une plage), comme s’il s’agissait de nous faire entrer par un trou de souris dans l’intimité de ce couple, et ensuite davantage nous surprendre en révélant jusqu’aux jeux qui pimentent leur vie sexuelle et qui rappellent parfois ceux de 9 semaines et ½ (de l’avis de Shad, tous deux sont des hypersexués « qui font une place prépondérante au sexe parce qu’ils ont découvert que l’activité sexuelle mettait au jour la partie la plus importante d’eux-mêmes »).
Quelques pages plus loin, le lecteur se trouve propulsé dans une autre histoire, où il est brusquement question d’un détective privé nommé Rory et d’une enquête qu’une certaine Maureen Keltner l’encourage à mener pour elle (nous apprendrons bientôt qu’il s‘agit d’un roman que Shad tente d’écrire). Il arrive que cette seconde histoire ressemble à la première (dans les deux d’ailleurs, il y a un assassinat), tant et si bien que le lecteur sait rarement où il se trouve (dans quel lieu tout d’abord – soit à Venise, soit à Greifendorf –, ensuite dans quelle histoire, puisqu’entre Maureen et Rory s’esquisse aussi une manière d’intrigue, reposant quant à elle sur la seule séduction). Le lecteur se retrouve alors dans une situation similaire à celle de Shad, qui ne sait plus très bien lui-même qui il est dans cette histoire amoureuse (Hélène étant devenue une partie de lui-même, à moins que ce ne soit l’inverse), à croire que Cholodenko tenait à ce que nous perdions nous aussi les pédales.
Quoi qu’il en soit, le couple semble filer le parfait amour : « on s’embrassait et le passé s’embrassait, le futur s’embrassait : la vie était un baiser ». Mais un jour Shad reçoit d’Hélène une lettre de rupture (à moins que Shad ne l’ait lui-même écrite, puisque nous ne savons jamais trop à quoi nous en tenir dans ces pages). Cette rupture va enfin donner à Shad une matière digne de nourrir un roman. Nous allons alors nous retrouver dans une sorte de texte programmatif qui jette les bases d’un projet romanesque, et pas n’importe lequel : précisément celui que nous venons de lire, autrement dit l’histoire d’amour entre Hélène et Shad, mais cette fois beaucoup plus romancée et beaucoup moins cérébrale, car la version que nous avons préalablement lue parlait surtout pour Shad et de « sa vision du monde, c’est-à-dire de lui-même dans le monde ».
Nous découvrons alors que ce livre en cache un autre et qu’il s’agit de « l’histoire du cheminement d’un homme vers l’acceptation de sa solitude et parallèlement vers la découverte de son destin d’artiste ». Au final, nous ne savons même pas si la première version est plus authentique que celle que Shad projette d’écrire.
Peu importe, finalement, ce que ce livre raconte, donne à lire (une sorte de catalogue de la relation amoureuse, qui peut bien être lue comme une mise en pratique des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes), car tout cela est formidablement écrit, comme si Cholodenko avait tenu à ce que la langue s’adapte à la complexité de la passion amoureuse, devienne en quelque sorte son égale (« Un amour est bien compliqué ; on n’y est jamais sûr de savoir qui on désire vraiment et qui vraiment on aime »). Et c’est cette langue qui fait la beauté de ce roman, lequel est surtout une réflexion sur ce qu’est l’amour, sur ce que sont pour deux êtres qui s’aiment les premières minutes d’une relation, où le temps se résume au seul désir de l’autre. Un roman que l’on ne traverse pas sans effort, certes, expérimental à sa manière, dans la mesure où il explore quelques possibles romanesques, mais qui n’en laisse pas moins sa place au rêve et qui diffuse un parfum capiteux qui a de quoi étourdir.

Didier Garcia

Les États du désert
Marc Cholodenko
P.O.L, 496 pages, 12

L’amour au carré Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°126 , septembre 2011.
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