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Domaine étranger Le monde selon Jack

septembre 2011 | Le Matricule des Anges n°126 | par Benoît Legemble

Sur fond de conte philosophique, Emma Donoghue imagine un huis clos, entre l’horreur du fait divers et le merveilleux de l’enfance.

Inspiré de faits réels, Room reste pour les pays anglo-saxons l’un des séismes littéraires de l’année passée. Bénéficiant pour sa sortie d’une couverture médiatique digne d’une superproduction cinématographique. C’est que la force du récit de l’Irlandaise Emma Donoghue réside en sa capacité à brasser les genres, à toucher un large lectorat. L’histoire relate initialement l’enlèvement d’une jeune étudiante séquestrée sept ans durant. Le narrateur de ce cauchemar sera le jeune Jack – tout juste âgé de 5 ans – fruit de l’union non consentie du bourreau et de sa victime. Les premières pages dévoilent l’existence du dressing exigu dans lequel est condamné à évoluer le garçon. L’oreille du lecteur devra au préalable s’habituer à cette langue de l’enfance, à ces mots-valises, périphrases, néologismes et autres tours de magie linguistiques qui demandent tous pourtant de recouvrer une certaine innocence. Car le monde de Jack reste celui de l’éternel recours au merveilleux pour mieux conjurer l’espace clos et le drame. Les ecchymoses maternelles se voient ainsi changées en taches de jus de betteraves. Les toiles de maîtres reproduites sur les paquets de farine d’avoine ont autant de valeur que celles exposées dans les musées. Puisqu’après tout, ce qu’il y a au dehors n’est qu’une abstraction pour lui. Quant à la profondeur du travail ici accompli sur la langue, elle tient précisément en ce que l’enfance offre la possibilité de l’inflation verbale. Elle permet l’outrance, dans une acception quasi rabelaisienne, tout en cristallisant l’essence poétique – le foisonnement des images : « la douleur est comme l’eau, elle s’étale dès qu’elle s’allonge », rapporte Jack.
La libération des deux captifs fournira d’ailleurs une épaisseur supplémentaire à l’ensemble du récit. Peintre des vanités, Emma Donoghue évoquera logiquement les diverses tentatives de récupérations de l’histoire de Jack et sa mère. L’environnement extérieur, jadis synonyme de félicités, apporte à l’enfant circonspect son lot d’inquiétudes et d’énigmes insolvables. L’écrivain opère ainsi – par le biais de l’exploration subjective du monde du jeune garçon, une diatribe à l’encontre du cirque médiatique accompagnant désormais nos deux victimes changées en bêtes de foire. Et l’enfant de conclure : « Maman et moi (…), on est juste venus ici pour se reposer et aussi on veut pas être embêtés par les paparazzis (c’est les vautours avec leurs appareils photos et leurs micros), vu qu’on est devenus célèbres comme les stars de rap mais pas exprès. » Le drame personnel se mue progressivement en événement public, tandis que les premiers fans manifestent leur soutien de façons plus ou moins originales. Certains opteront pour l’intimité épistolaire et l’obsécration, tandis que les moins équilibrés tenteront de faire partager au tandem leurs déjections fécales envoyées sous plis. C’est qu’il en va finalement de la vie au dehors comme de l’existence dans la chambre. La folie est partout, seule la mesure varie.
Dans ce contexte, Jack s’inscrit dans le récit comme un enfant désarmé dont le roman d’apprentissage semble plus incertain que jamais une fois évadé. Les bienveillantes exhortations de l’entourage à la vie n’y peuvent rien changer. L’auteur passe au microscope le protocole compassionnel et son lot de lieux communs. Avocats, infirmières, famille et médecins se relayent auprès de Jack, sans jamais pouvoir influer sur le cours des choses. Il n’est aucune aide, ici, pour résoudre l’énigme du monde extérieur, oblitérer la douleur et expliquer le caractère caduc de règles établies depuis toujours – quand l’enfermement et la restriction furent la seule norme. L’extérieur devient ainsi le lieu de l’exploration d’une altérité incompréhensible pour Jack. Une polyphonie discordante, où la voix maternelle semble parasitée, voire inaudible au début. Chacun manifestera ses exigences vis-à-vis de l’enfant. Des conduites toutes dictées par le respect de la norme, tel oncle Paul – soucieux de voir Jack troquer son sac à l’effigie de Dora l’exploratrice pour un héros plus convenable, incarné ici par Spiderman. Donoghue cristallise le poids de la question des genres. Un thème développé avec justesse dans la dernière partie du roman, qui sert également d’introduction au dénouement de la quête de Jack. Car si initiation il y a, elle ne peut se faire que dans la séparation. Il s’agit donc de reconsidérer la relation symbiotique qui unit le garçon à sa mère – véritable épicentre de son univers. Le seul regard qui lui fut adressé jusqu’alors. Un apprentissage qui semble passer par l’acceptation d’un nouvel entourage familial comme par la symbolique mise au tombeau des objets du passé.
À l’éternel débat sur la résilience, Donoghue répond par l’ascendante trajectoire d’excavation de ses personnages, au gré d’une ode désastreusement joyeuse à la richesse sensible.

Benoît Legemble

Room
Emma Donoghue
Traduit de l’anglais (Canada) par Virginie Buhl
Stock, « La Cosmopolite », 400 pages, 21,50

Le monde selon Jack Par Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°126 , septembre 2011.
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