Né en 1894, Boris Pilniak fait partie de cette génération d’écrivains soviétiques (Isaac Babel, Platonov, Ivanov…) qui accompagnèrent la révolution d’Octobre et que Staline surnomma « les ingénieurs de l’âme », leur fixant au passage la ligne éditoriale. L’Année nue, publié en 1922, lui apporte immédiatement la célébrité. Deux conceptions de la révolution y sont exposées : aux pulsions anarchistes et sauvages des paysans, les bolcheviks, « des hommes de cuir en vestes de cuir », opposent le caractère scientifique du marxisme. Pour rendre cette Russie primitive, cette effervescence qui le fascine, Pilniak crée « le roman en vrac où les matériaux issus de la vie sont donnés sans liaison, juxtaposés. » Nourri par les futuristes et les grands romans d’Andreï Bely, il expérimente : fragmentation de la narration, brouillage des repères temporels, collage d’éléments hétérogènes (poèmes, articles de journaux, comptes rendus de tribunal, chansons, affiches…). Pilniak devient le chef de file de l’avant-garde littéraire des années 20 et un des enfants choyés du régime.
Les choses vont se gâter en 1926, quand paraît Le Conte de la lune non éteinte. Comme souvent chez Pilniak, le sujet et son développement sont des plus ténus : Gavrilov, un héros de la révolution devenu haut dignitaire de l’armée, meurt dans d’obscures circonstances après qu’on lui a intimé l’ordre de se faire opérer d’un ulcère. Inspiré par des faits réels, ce récit implacable montre la vaste entreprise de « liquidation des liquidateurs » dans laquelle s’était lancé Staline (appelé ici « l’homme au dos raide »). Malgré les décorations sur leurs poitrines, les hommes sont happés par la machine à broyer qu’ils ont eux-mêmes contribué à construire. Le livre est jugé contre-révolutionnaire, calomnieux et est aussitôt censuré. Pilniak fait amende honorable et reconnaît que la rédaction et la publication de ce texte étaient « une faute ». Il gagne ainsi dix ans de sa vie. Il sera finalement fusillé le 21 avril 1938, après s’être accusé d’être un espion japonais. Le manuscrit de son dernier roman, La Grange à sel, restera enterré dans son jardin jusque dans les années 50…
Le conte de la lune
non éteinte
de boris pilniak
Traduit du russe par Sophie Benech, Éditions Interférences,
96 pages, 13 €
Domaine étranger Conte de la lune
janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99
| par
Emmanuel Favre
Un livre
Conte de la lune
Par
Emmanuel Favre
Le Matricule des Anges n°99
, janvier 2009.