Quelle horreur d’être noire et de n’avoir aucun contrôle sur ma vie ». Qui nourrit pareille pensée ? La petite fille que Maya Angelou était à 12 ans, écoutant le discours méprisant que fit un politicien de l’Arkansas, l’un des États américains les plus profondément racistes alors, à l’occasion de la remise des diplômes de la promotion 1940. Être noir, à cette époque, c’était comme vivre du mauvais côté de la frontière. « L’horreur d’être noire », c’est ce que vit cette fillette à Stamps, un hameau paumé. Dans ce village comme ailleurs en Alabama, en Géorgie ou au Mississippi, les Noirs sont plus ou moins pestiférés. « Les gens à Stamps disaient que les préjugés des Blancs de notre ville étaient tels qu’un Noir ne pouvait pas acheter de la glace à la vanille. Sauf pour la Fête nationale. Les autres jours, il devait se contenter de glace au chocolat ». Ce pourrait être drôle si ça n’était terrible. Avec cette autobiographie, parue à l’origine en 1969 (et publiée chez Belfond en 1990), Maya Angelou, de son vrai nom Marguerite Johnson, nous plonge dans l’Amérique de sa prime jeunesse, celle des années 30. C’est l’Amérique de la ségrégation, celle où les Blancs préféraient « fourrer la main dans la gueule d’un chien que dans celle d’un nègre ». Une Amérique où les Noirs sont quotidiennement humiliés quand ils ne sont pas tabassés ou, pire encore, lynchés. Une Amérique qui pourrait pousser une toute jeune fille à la haine de soi ou à son pendant haineux, la détestation des Blancs, si elle n’avait pas les ressources pour assécher tous ces germes malsains. Tapi derrière l’avilissement, sourd le désir viscéral de libération. Ce à quoi Maya Angelou consacrera toute sa vie en tant que figure emblématique de la lutte pour les droits civiques.
« Un Noir ne pouvait pas acheter de la glace à la vanille. Sauf pour la Fête nationale. »
L’aspiration qui perce ici passe par l’apprentissage de la dignité. De la dignité plus que de la fierté, dont elle est le cocon, la chrysalide. La fierté viendra plus tard, avec les marches pour l’égalité et l’engagement auprès des leaders de la cause noire, Malcom X ou Martin Luther King, compagnonnage militant abordée dans Tant que je serai noire (Les Allusifs, 2008). Pour l’heure, dans ce récit qui s’achève sur ses 17 ans, c’est davantage la quête identitaire qui est évoquée, loin encore des revendications. À ce titre, ce livre a donc une valeur matricielle ; il constitue la préhistoire d’une implication politique. Il couvre une période où l’oiseau est encore en cage ; ce n’est que bien plus tard qu’il volera de ses propres ailes, à l’air libre.
Chacun des épisodes et chapitres de retour vers l’enfance, jusqu’à la douloureuse séquence de son viol, à 7 ans, par un beau-père vicelard, interroge la complexe question de l’identité. « Héros et croquemitaines, valeurs et antipathies sont d’abord rencontrés et étiquetés dans ce premier environnement ». Maya Angelou s’interroge ainsi autant sur la condition qui lui est faite à l’époque d’enfant noire que sur l’enfance même qui conditionne largement notre être futur. À un regard rétrospectif s’ajoute donc un regard introspectif. C’est aussi pour ce don de double vue, si l’on peut dire, que ce livre est intéressant. Le retour en arrière est un dévoilement progressif. Le talent de Maya Angelou est clairement de ne pas sacrifier à la simple évocation, mais d’orchestrer une véritable excavation. Se souvenir, c’est exhumer celui - ou celle - que nous étions.
Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage de Maya Angelou - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christiane Besse, Les Allusifs, 306 pages, 24 €
Domaine étranger Flash back
janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99
| par
Anthony Dufraisse
Dans cette autobiographie, Maya Angelou retombe en enfance. La grande dame de la cause noire aux États-Unis se souvient de la jeune fille qu’elle était.
Un livre
Flash back
Par
Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°99
, janvier 2009.