Les fous ont sur les individus sensés l’insigne avantage de ne pas tricher : ils se moquent comme de leur première camisole de leur image, des règles de la bienséance ou des critères de la normalité. C’est peut-être pour cela qu’ils exercent une telle fascination sur ceux qui préservent les apparences en ne se livrant qu’en cachette à leurs excentricités.
Roberto Alajmo, écrivain et journaliste né en 1959 et palermitain depuis presque toujours, propose une collection ou plutôt un répertoire de fous, pour citer le titre original : Nuovo repertorio dei pazzi della città di Palermo. « Nuovo », parce que le livre est la refonte augmentée d’un texte paru il y a une quinzaine d’années. Des vies de fous observées par l’auteur ou qui lui ont été rapportées par des témoins et restituées ici sans fioritures, afin que le lecteur puisse y voir « ce qui lui convient ». Cela donne un livre étonnant, empreint d’un charme dont les ressorts reposent sur un incontestable autant que discret savoir-faire.
La cité de Palerme, ville atypique de 700 000 habitants, qui selon Roberto Alajmo tient à la fois de la métropole et du village, offre un cadre de choix aux manifestations de la folie. « A Palerme, le fou a une identité spécifique », explique-t-il dans un entretien. La folie y est cultivée comme un jardin et Alajmo, muni de son carnet de notes, s’est penché par-dessus la clôture. Un geste bizarre qui d’ailleurs amène l’écrivain à s’inscrire lui-même dans le répertoire, à une place de choix : « Le premier faisait collection d’histoires excentriques. Il en trouva une et la mit de côté. Puis il en trouva une autre et ainsi de suite. » Mais il n’y a pas d’ordre dans ce livre, et sûrement pas de hiérarchie. Les fous y sont nobles ou roturiers, ouvriers ou grands bourgeois, lettrés ou analphabètes, timides ou grandiloquents ; les premiers valent les derniers et vice versa. C’est le lecteur qui au fil de sa balade dans cet asile à ciel ouvert fait son marché d’histoires et, va savoir pourquoi, s’arrête sur celle-ci plutôt que sur celle-là : « Un autre, Totuccio dit le Sénateur, tenait des meetings devant l’Extrabar. Il était petit et frisé, et portait un imperméable beige. Il tenait des meetings de droite, mais confus. À tel point que les vrais fascistes se sentirent ridiculisés et délaissèrent l’endroit où ils se réunissaient d’habitude. » Ou encore sur celle-ci où, comme certain gouvernement, le fou se voudrait réformateur du dimanche : « Un autre était ingénieur. Il avait inventé le Nouveau Calendrier Laïc du Manager. Selon ce calendrier, l’année était composée de treize mois, et chaque mois commençait un dimanche. Il le proposait à toutes les entreprises, en soutenant qu’elles en tireraient des avantages économiques certains. Toutefois, aucune n’accepta jamais de l’adopter. »
Dans certaines histoires, le fou crache sur les passants, insulte des gamins, court d’une poubelle à l’autre, déchire des bouts de papier en fragments toujours plus petits ou bien sort prendre l’air sans prévenir : « Un autre, le professeur Ascoli, était un médecin de renom. Quand il était confronté à un cas clinique particulièrement délicat, il lui arrivait d’interrompre une consultation, de laisser le patient en caleçon dans son bureau et d’aller faire un tour à vélo pour mieux réfléchir. Puis, il revenait et ne se trompait jamais de diagnostic. »
Mais l’histoire peut aussi être un hommage discret rendu aux juges Falcone et Borsellino, assassinés à Palerme par la Mafia : « Deux autres, nés dans le quartier de la place Magione, voulurent devenir juges. Puis, l’un des deux fut tué et l’autre ne lui survécut que cinquante-six jours. »
Les Fous de Palerme
Histoires courtes, excentriques et illustrées
Roberto Alajmo Dessins de Paul Ladouce
Traduit de l’italien par Danièle Valin
Rivages, 176 pages, 16 €
Domaine étranger Mouvements de fous
janvier 2009 | Le Matricule des Anges n°99
| par
Jean Laurenti
Dans un recueil d’histoires brèves à l’humour délicat, Roberto Alajmo brosse une série de portraits de foldingues empreints d’une bienveillante humanité.
Un livre
Mouvements de fous
Par
Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°99
, janvier 2009.