La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Saïgon mon amour

septembre 2008 | Le Matricule des Anges n°96 | par Jean Laurenti

À travers les destins d’une poignée de personnages, Denis Johnson nous entraîne au cœur de la guerre du Vietnam. On n’y voit guère.

On entre quelquefois dans un livre comme dans une maison, attiré par une lumière prometteuse et l’espoir d’un possible festin. Et puis, une fois à l’intérieur, voilà que la lumière s’éteint et qu’il faut tâtonner pour chercher de quoi s’éclairer et qu’on distingue les visages des convives qui continuent leurs affaires sans se soucier de vous. Le livre de Denis Johnson, récent lauréat du National Book Award américain, incite à la métaphore. C’est un roman monstre de presque sept cents pages, une plongée moite dans l’histoire américaine de la deuxième partie du siècle dernier. Une partie en tout cas de cette histoire, celle de la guerre du Vietnam, avec des ramifications du côté des Philippines, du Japon et de la Corée. Théâtre tragique de la politique extérieure américaine, l’Asie accable les corps et piège les âmes des protagonistes. C’est dans la multiplicité de leurs regards que le lecteur cherchera à saisir les linéaments d’une intrigue et les découvrira, au long de sa lecture, de plus en plus entremêlés et quelquefois il les perdra de vue, selon le bon vouloir de l’écrivain démiurge.
Arbre de fumée est le neuvième des livres de Denis Johnson (tous publiés chez Christian Bourgois). Dans le premier, Des anges, un ancien soldat, Bill Houston, voyait sa vie de galérien virer au cauchemar définitif. C’est avec ce même personnage que s’ouvre le roman. Il est alors un tout jeune matelot et comme le monde entier il vient d’apprendre l’assassinat de John F. Kennedy. Le récit se déploie en effet de 1963 à 1970 ; le chapitre final, quant à lui, se déroule en 1983. Comme son frère James qui lui aussi va s’engager dans l’armée - chez les GI’s - et rempiler plusieurs fois au Vietnam, Bill Houston est un jeune péquenot du désert de l’Arizona venu consumer sa jeunesse en Asie avant de revenir au pays natal poursuivre son voyage au bout de l’enfer. James et Bill sont des personnages qui avec d’autres gravitent autour des deux figures centrales du roman : Skip Sands, jeune agent de la CIA désireux d’œuvrer à l’éradication du fléau communiste ; le colonel Francis Sands, son oncle et mentor, héros de la Deuxième Guerre mondiale, cheville ouvrière de l’entreprise souterraine des services secrets américains conçue pour infiltrer les forces du Nord-Vietnam. D’autres protagonistes (vietnamiens, allemand, américains, canadienne…) apparaissent et disparaissent au fil des chapitres et des années. Cette narration discontinue pose un problème : quand il retrouve ces personnages, le lecteur réalise qu’ils ne lui ont pas manqué, qu’il pourrait même continuer à se passer d’eux. Il leur manque en effet une présence, ce quelque chose qui fait qu’on s’attache à des êtres de papier, qu’on s’intéresse à eux, fussent-ils des bouseux du Middle West devenus des brutes sanguinaires, un assassin appointé par la CIA ou un grand jeune homme mélancolique (Skip Sands) rêvant d’un destin personnel à la hauteur du vide creusé par la mort prématurée de son père à Pearl Harbor.
Pour tenir la distance avec un tel projet (pluralité de personnages, diversité des lieux, des enjeux stratégiques, motivations absconses de certains acteurs…) il faut un souffle dont ce livre manque. Pour que son mastodonte conserve un peu de vivacité Denis Johnson a adopté un style nerveux, souvent proche d’une certaine forme d’oralité. Avec des résultats mitigés : « Lieut Puceau était un jeune athlète au corps compact et au visage sincère, qui rentrait les pans de sa chemise de treillis dans un pantalon dont il remontait la taille trop haut. (…) Les maladies tropicales l’obnubilaient. Apparemment il avait lu un livre sur des trucs horribles et foudroyants contre lesquels il n’existait aucun vaccin. »
L’auteur a cherché à se tenir à hauteur de ses personnages. Il évite le plus souvent d’adopter un point de vue surplombant et leur donne fréquemment la parole dans de longs passages dialogués où, le contexte de la guerre absurde aidant, le propos paraît dénué de sens. Dans un bar à proximité de Saïgon, James engage la conversation avec un jeune GI unijambiste qui manipule nerveusement son revolver :
« Baisse un peu ce feu, d’accord ?

 On meurt tous, mec.

 T’aurais pas un nom par hasard ?

 Cadwallader.

 Et si tu le posais rien qu’une minute ? Alors je pourrais boire une bière avec toi.

 Je t’ai dit mon vrai nom. Quelle gaffe !

 Pourquoi est-ce une gaffe ?

 Quand les gens connaissent ton nom, tu morfles.

 Je vois bien que tu t’es fait amocher, dit James. C’est la merde. »

On l’aura compris, Arbre de fumée est un livre ambitieux qui laisse insatisfait. Il se dresse face au chaos mais se contente de le désigner. Il est à l’image de Skip, l’inconsolable agent secret, allongé près de sa maîtresse : « Alors, l’espace d’un instant, il pensa : Je suis James Bond, avant de retomber dans la grisaille du doute -Artaud et Cioran, le chien, la pluie, le sens de tout ça (…). Cette opération secrète et la guerre proprement dite. Folie sur folie. »

Arbre de fumée de Denis Johnson
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent, Christian Bourgois, 680 pages, 28

Saïgon mon amour Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°96 , septembre 2008.
LMDA papier n°96
6,50 
LMDA PDF n°96
4,00