Théâtre : L’Etudiant roux (suivi de) L’Ennemi (suivi de) L’Ombre (suivi de) Demain n’existe pas (et de) L’Automate

Il y a dix ans, le 13 août 1998, disparaissait Julien Green. À travers deux publications simultanées, les éditions Flammarion ont voulu rendre hommage au romancier, diariste, dramaturge, et académicien français de nationalité américaine. Sa première pièce Sud est publiée en édition bilingue GF, et un volume de Théâtre rassemble ses pièces ultérieures, écrites et jouées de 1950 à 1980.
Sud, L’Etudiant roux, L’Ennemi, L’Ombre, Demain n’existe pas, L’Automate : toutes frappent d’abord par leur unité. Sud apparaît à la fois comme un horizon personnel et un principe esthétique. Horizon personnel puisque ce sud est avant tout celui des États-Unis, baigné d’une éternelle fin d’après-midi d’été à l’ombre des sycomores et des vérandas des villas de riches planteurs que le jeune Green a d’abord rêvé à travers les récits maternels avant de le découvrir lors d’un voyage. On retrouve, notamment à Messine, dans Demain n’existe pas, cette lumière à la fois menaçante et dorée caractéristique de son théâtre. Principe esthétique également puisque cette première pièce annonce le crépuscule fastueux du règne sudiste. Dans l’affrontement héroïque des désirs, l’entrechoc de l’honneur, de la morale (notamment religieuse), et du bonheur qu’elle met en scène, Sud libère un concentré de thèmes qui seront repris par la suite.
Il y a chez lui une sorte d’antimoderne qui trouble.
Ce premier thème tragique et solaire se lie dès Sud à celui du double et à son corollaire, l’amour homosexuel. L’amour de l’officier nordiste Ian Wiscewski pour le jeune Erik MacClure constitue une trame dramatique qui à l’époque est encore souterraine. Impossible en 1864, de tolérer l’amour d’un officier nordiste pour un jeune homme du sud, expliquait Green. Pas davantage en 1954 pourrait-on ajouter tant furent importantes la réticence du théâtre français (à commencer par Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, après lecture), l’incompréhension des spectateurs qui ne voyaient dans la pièce qu’une rivalité vague entre les deux hommes, et les censures subies à l’étranger. L’une des principales figures qui donnent au théâtre de Green sa force réside cependant dans ce personnage aux accents post-romantiques qui incarne cette facette douloureuse et marginale du désir. Par tours et détours, il devient source de conflit tragique, cela de façon marquante avec le personnage de Moïra dans L’Etudiant roux.
Pourquoi Julien Green n’est-il plus guère représenté aujourd’hui ? Principalement du fait d’une dramaturgie et d’une écriture assez classicisantes. Green, tenant fervent de la règle des trois unités même s’il en adopte une conception souple, fait proliférer dans ses pièces les lettres, les scènes d’aveux ou d’exposition, les confidents, et les écoutes aux portes… Son théâtre semble réactualiser dans des thèmes contemporains tout l’appareil dramaturgique du Grand Siècle, recourant pour les décors à des salons aux douces perspectives, tandis que sur le plan des discours, c’est parfois à une véritable résurrection de la forme classique qu’on assiste, notamment du monologue. Trop sage ? Il y a chez lui une sorte d’antimoderne, qui a de quoi troubler à l’heure des Beckett, Ionesco, ou Genet, dont les œuvres s’échelonnent sur une période similaire et qui incarnent une modernité autrement plus radicale. « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne », écrivait Barthes à la fin de sa vie : le mot conviendrait à Julien Green. Sans avoir été un homme d’innovations théâtrales, celui-ci a en revanche vanté la « rapidité (comme étant) l’une des vertus cardinales du théâtre » et donné ainsi à son écriture une incontestable efficacité.
ThéÂtre de Julien Green Flammarion, 440 pages, 25 €