On ne sait pas grand-chose de Gérard Haller, à part qu’il a écrit pour le théâtre et qu’il vit à Paris, qu’il a presque cinquante ans ; qu’il envoyait ses Météoriques par bouts sous papier kraft à ses amis et au philosophe Jean-Luc Nancy. Ça suffit à le lire, sans qu’autre chose vienne troubler. Et ça suffit aussi à ouvrir le volume par une lettre dudit philosophe. Une lettre qu’on peut lire après, ou avant, parce qu’elle ne légitime pas le livre, mais replace le travail de l’auteur dans son histoire, dans sa logique ou son élan. Il semble donc que l’ensemble Météoriques ait d’abord été divisé en cahiers de quatre feuillets, sur lesquels il s’agissait de transcrire des voix, des paroles ; puis de les adresser. Mais sans clairon ni fanfare, ni dans la recherche d’une forme particulière, qui voulut faire forme (justement). Plutôt noter dans l’ordonnance et la régularité de temps datés, un journal au ras du monde. Noter ce qui se passe pour le ciel, pour la terre (c’est l’ordre des deux parties du livre), et pour l’homme qui se trouve entre deux ; car sans cette tension-là entre la terre et le ciel, rien n’existerait. Vieille question, grecque d’abord, que Haller repose à sa façon, en faisant comme un mixte entre « touches de peintures et maximes métaphysiques ». C’est vrai qu’à la première lecture, on peut penser ça. Mais avec un peu plus d’attention, on va plus loin dans ses phrases. Nancy les appelle justement des « mesures de souffle de pensée ». Et si Météoriques peut parfois se rapprocher de l’oeuvre d’Antoine Émaz et de ses Soirs (Éd. Tarabuste, 1998), par la sécheresse, l’effet ras, désenchanté, juste posé là, il s’en écarte par une syntaxe et une grammaire peut-être plus neutre dans son ensemble : « Le jour tombe// Les feuilles tombent plus vite// Il faut croire que c’est moins divin là-haut qu’on croit » ou bien : « Automne : toutes ces couleurs maintenant, qui sont pour faire le deuil de la lumière ».
Sous des effets très simples, répétitifs, mais sans superficialité, Gérard Haller cherche à vérifier son expérience d’homme face à tout cet ordinaire temps où il y a à passer son corps, son coeur et sa tête. Mais cette expérience-là -si c’est bien la seule dans laquelle nous nous tenons droit et encore debout- consiste à ne rien mythifier, à ne surtout pas enchanter le monde avec du mythologique. Ainsi l’auteur écrit-il au ciel, à l’adresse du ciel, « pour finir, selon ses mots, de le vider de tous les dieux qui continuent à le hanter et à prétendre nous combler », et à la terre pour enfin l’habiter. Ce questionnement sur le séjour de l’homme dessine une éthique, puisque vivre consistera à faire tomber les masques et les leurres. Cela n’empêche pas des bonheurs sans débat sous un coin de ciel bleu. Mais aussi ce qui ne peut plus s’y tenir. Terre s’ouvre alors par « Des morts il y a, des morts, des morts// Chaque jour d’autres manquants » ; Ciel se termine par un « Ciel et mer, noir, bleus sur noir// Oh mais tout le ciel ainsi ». Météoriques, ça veut dire tout ce qui se passe dessus et dessous le ciel. Sans se voiler la face.
Météoriques
Gérard Haller
Poésie Seghers
212 pages, 110 FF (16,77 €)
Poésie Tombé du ciel
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Emmanuel Laugier
Gérard Haller publie un premier livre au titre prémonitoire : Météoriques. Sorte de journal traversé par le ciel et la terre, à l’effet désenchanté.
Un livre
Tombé du ciel
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.