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Poésie Le sans nom

septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36 | par Emmanuel Laugier

Avec Sentes dans le temps, le poète et traducteur Jean-Claude Schneider continue à creuser dans un vers presque baroque ce qui vient séparer les mots de nos perceptions. Ce qui, comme on dit couramment, laisse sans mot. Ce reste donc silencieux, sur lequel les mots ne collent pas, tout justes bons qu’ils sont à glisser sur le bord net des choses et à en ramener des petites bribes bien pauvres, Jean-Claude Schneider a tôt fait d’y desceller tout l’enjeu de la parole poétique. En trois parties, il sera question d’entendre « avec ton ouïe bourdonnante », de percevoir ne serait-ce qu’un « fragment de futur », puis de faire, telle une leçon d’adieu, ce « vieux geste, sans finir » de la parole errante. Trois façons d’aller vers l’opacité silencieuse du monde, d’y répondre. Le poème, en des vers longs, rugueux, presque pâteux, renvoie l’expérience à toute son âpreté : « dehors où le jeune air haletant à hauteur/ de poitrine secoue l’évidence, dehors où ce qui pressait a fait/ socle », dehors est une plaque qui barre et pourtant sert d’horizon au regard. L’éclatement du poème sur la page en est aussi la réponse, le champ libre où la tâche de l’écriture s’allège de sa difficulté et de son pathos, laissant venir à elle une respiration presque apaisée.
Tout le travail de poète de Jean-Claude Schneider oscille entre ces deux tensions. Il trouve même son équilibre en ajoutant des laisses presque abstraites, des élans de réflexions, comme frappées de mutismes, à des notations prises sur le vif du réel. Ainsi passe-t-on de jeunes filles entrevues à ce « pas même ça - mot, ce/ serait un pouvoir/ l’usage », auquel répondra, plus loin et presque clair ce : « Voir/ dans la lumière/ entre les choses, dans l’ombre, venir ce plein, ce blanc ».

Sentes dans le temps
Jean-Claude Schneider
Éditions Apogée
63 pages, 68 FF (10,37 )

Le sans nom Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°36 , septembre 2001.