Inlassablement montrer, démontrer, démonter, remonter dans l’errance, tel est le travail vital, le sacerdoce (ça sert d’os ?) du poète Julien Blaine, toujours fidèle en cela aux préceptes du mouvement CoBrA (de Copenhague, Bruxelles, Amsterdam, mouvement artistique à la brève existence organisée de 1948 à 1951 et qui exalte la création spontanée -arts populaires, bruts, primitifs, naïfs, dessins d’enfants, d’aliénés-, le mélange aux frontières des arts face à l’art estampillé officiel). Si son antre, sa tanière se situe à Ventabren entre Aix-en-Provence et Marseille, il traque à travers le monde les secrets des origines, les secrets des sorciers, des chamans. Entre deux performances où il met en scène son travail poétique qu’il tonitrue d’une voix de stentor, deux trains, résidences d’artistes, créations de nouvelles revues, il publie ça et là des sommes conséquentes. La Fin de la chasse et La Cinquième feuille ont pour fil rouge l’écriture, ses origines, ses conventions, ses mécaniques, ses monstruosités. Dans la première, fruit d’une résidence d’artiste à Bordeaux en novembre 97, il met en parallèle les correspondances entre la chasse typographique et la chasse des nemrods bordelais. Il utilise (très peu) la prose classique comme dans cet avertissement : « Sans fierté ni honte, je te préciserai ô lecteur, que je n’ai jamais chassé/ Jamais/ Ni tué par conséquent./ Encore que j’ai un peu pêché à la fin de mon adolescence et au début de ma jeunesse./ La chasse implique/ la bête sauvage,/ le troisième millénaire ne contient plus que des bêtes domestiques,/ apprivoisées ou entretenues ». Il multiplie les énumérations, décortique les mots, les mutile, joue sur leur sens, (« toujours, la langue ser* » écrit-il pour renvoyer à la note de bas de page suivante : « *Hors orthographe, toutes significations comprises ») les détourne, les réduit à des formules plus ou moins cabalistiques. De même pour les images (photographies, photocopies, documents, fax, articles, « déchirures de presse », tableaux, montages plastiques).
Dans le chapitre intitulé D.A.R.A (Document abouti recueilli ailleurs), il évoque la chasse publicitaire « Tout publicitaire adhère au gouvernement américain » en confrontant des photographies d’abribus Decaux vantant les mérites de « l’Égypte, Vision millénaire » et une coupure de presse relatant au même moment la chasse à l’homme d’islamistes sur des touristes visitant un temple à Louxor. Si les éclats de mort, l’irruption du banal, du quotidien ainsi que des considérations plus universelles, ponctuées de références mythologiques nourrissent le poème, il n’en demeure pas moins que ce dernier apparaît bien étique et que le sujet n’est traité ici qu’en partie, sans grande profondeur de champ, d’une manière certes ludique mais trop anecdotique.
Ce qui n’est pas le cas de La Cinquième Feuille qui se présente comme un catalogue, suite Du sorcier de V. au magicien de M publié aux éditions Galerie Roger Pailhas (1997). Après Bordeaux en novembre 1997, Blaine résida à Munich au printemps 98 sur les bords du lac Stanberg, exposa sur l’Ile de la Réunion et courant 99 passa un mois à Périgueux. Après des rappels sur ses précédents travaux et sujets de prédilection où il évoque tour à tour le génocide des sorciers et magiciens par l’Inquisition catholique, les secrets perdus, le Golem, les correspondances entre les civilisations. Ou encore la langue, son élaboration, son enfermement dans des livres : « Ainsi le prosélytisme chrétien va s’établir à partir du Livre. Il commencera par le passage du Texte de l’hébreu au grec. Et là, va alors s’établir le mensonge alphabétique qui deviendra l’un des secrets ou l’une des découvertes d’un secret disparu./ L’alpha et l’oméga, de a à z, toujours le même signe tantôt couché, tantôt debout, tantôt large, tantôt étroit… » Julien Blaine avoue rêver depuis des années d’un cinquième élément de sa grande quête du secret. Après la feuille, l’œil, le poisson, la plume, voila qu’il le découvre sur des moulages de sculptures préhistoriques aurignaciennes dans le musée de Périgueux. « Je :/ « Comme si le cul faisait perdre la tête. »/ Est-ce cela, aussi, l’écriture ?/ « C’est postérieur à la figure dont je parle : la vulve. » » Il déclinera les quatre premiers éléments essentiellement dans des créations plastiques (photographies, peintures, dessins) de fort belle facture et s’apesentira sur la vulve, qui deviendra le pendant féminin des mains masculines imposées sur les murs des cavernes et par là élément matriciel d’écriture, signe, idéogramme, lettre.
Ses intuitions, étayées par les réflexions de préhistoriens, des trouveurs périgourdins à Leroi-Gourhan, il les confrontera à d’autres civilisations. Il se référe notamment à François Cheng qui dans sa Lecture poétique chinoise décrit une vulve, idéogramme sensuel et singulier dite du « melon brisé » : « En chine, on désigne les seize ans d’une jeune fille (c’est l’âge où une jeune fille devient désirable et où elle peut se marier) par l’expression p’o-kua melon brisé ». Et conclut avec cette formule qui résume admirablement le travail de Blaine. « Le poète est plus que celui qui parle, celui qui se laisse parler. Il apparaît comme un déchiffreur en même temps qu’un ordonnateur des mythes accumulés au cours des millénaires. Tout se passe comme si le poète ne pouvait accomplir son propre mythe, qu’en ayant vécu tous les autres mythes. En les ordonnant, il les transforme. Ce passage souterrain à travers les mythes est pour lui une initiation. »
La Cinquième Feuille, œuvre magistrale (intuitions et forme), sensuelle, sacrée, travail sur la langue et l’image surprenant et décapant, édité à moins de cinq cents exemplaires, cent ans après le coup de dé déclencheur et avant-gardiste de Mallarmé dont Blaine se revendique, relate les origines et les fins : « d’un côté j’envisage/ de l’autre j’envulve »
Julien Blaine
La Fin de la chasse
Al Dante
La Cinquième Feuille
Éditions Nèpe
96 et 277 pages, 139 et 420 FF
Poésie Vulve toujours...
mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30
| par
Dominique Aussenac
En deux recueils protéiformes, Julien Blaine traque les secrets sans vouloir les percer. Une quête qui permet d’embrasser toutes les civilisations.
Des livres
Vulve toujours...
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°30
, mars 2000.