Les six récits que nous livre Pascal Commère dans Le Grand Tournant semblent ne jamais s’autoriser le moindre déploiement, comme si dans la phrase même tout se jouait en amont du grand tournant où l’auteur nous raconte que son père jockey trouva la mort, sur un champ de course : « Il n’y eut pas pour lui de tournant ce jour-là, ni durant les jours qui suivirent ».
Si le plus intime se trouve bien atteint, c’est dans une sorte de pointillisme du récit. Avec une scansion très particulière en effet, poétique beaucoup plus que narrative, il s’agit là de s’approcher de ce qui ne se laisse pas dire, de pointer l’instant où le bouleversement laisse sans voix, où sur l’hippodrome le silence se fait, se fit.
Racontant comment dès l’âge de dix ans, se retrouvant dans la situation d’avoir à prendre la relève de son père décédé, il se refusa à grandir pour mieux accomplir sa destinée de jockey, Pascal Commère s’en remet à un rythme avant tout, à une fulgurance, qui est un effacement aussi bien, l’accomplissement d’une ellipse : « Une course ne finit jamais, elle l’est d’avance ».
La lecture de ce livre dès lors se fait réellement envoûtante, tant ce qui s’y joue est à vif, dans le rendu d’une impression comme échappée à son évanouissement.
Emporté dans ce pur instant d’une inadmissible présence au monde, le jockey aura du sensible une vision proprement hallucinée, en sa fragmentation somptueuse : « Aux courses les choses se perçoivent d’abord par le regard, arc-en-ciel découpé en tranches carrées glissant au ras des lices. Encolures longues, dans la montée des chevaux s’aplatissant un peu plus à chaque mètre. Il faudrait être une herbe ».
Pascal Commère aura finalement préféré l’écriture aux chevaux, et dans sa poésie il s’autorise à n’être plus qu’une herbe. Dans la solitude des plantes enfin.
Le Grand Tournant
Pascal Commère
Le Temps qu’il fait
126 pages, 92 FF
Domaine français Avant la ligne droite
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Xavier Person
Un livre
Avant la ligne droite
Par
Xavier Person
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.