Un livre

Régénération

de Pat Barker

Editions Actes Sud

Cette déclaration est un acte volontaire de désobéissance à l’autorité militaire car je pense que la guerre est délibérément prolongée par ceux qui ont le pouvoir d’y mettre fin… Je sais ce que les troupes endurent, je l’ai vécu moi-même, et je ne puis plus contribuer à prolonger ces souffrances pour des fins que je crois mauvaises et injustes". Rédigée en juillet 1917, cette lettre valut à Siegfried Sassoon, soldat britannique décoré pour acte de haute bravoure en France, d’être aussitôt interné à Craiglockhart. Là, quelque part entre la boucherie du champs d’honneur et l’indifférence de l’arrière, le docteur Rivers a pour mission de soigner les traumatisés de la Grande guerre afin de les renvoyer au front. Les deux personnages, réels, ont inspiré Pat Barker dans l’écriture de Regénération où leurs noms apparaissent tels quels.
Largement rédigé sous formes d’entretiens médicaux, Régénération est une lente et douloureuse quête de la parole enfouie ou mutilée pour refouler l’indiscible. Au fur et à mesure que les mots reviennent, les pages du roman de Pat Barker s’emplissent de fantômes et d’odeurs de putréfaction. Il y a les irrépressibles nausées de Burns qui s’était retrouvé la tête coincée dans le ventre d’un soldat allemand mort et les vomissements d’Andersson, un chirurgien dégoûté de la médecine à force de pratiquer des amputations. Il y a aussi la langue blessée d’Owen qui tient la poésie pour unique refuge, les nuits de cauchemars et d’insomnies du jeune Prior. Et les quelques rares escapades dans la vie civile ne nous donnent à voir que les visages jaunâtres des filles employées dans les usines d’armement.
Historienne de formation, Pat Barker mêle ici, comme dans ses deux précédents romans, la fiction romanesque à un impressionnant travail d’archives et de collecte de témoignages. Loin de se complaire dans un inventaire facile et voyeur des horreurs de la guerre, l’auteur britannique poursuit avec exigence son autopsie politique d’une tragédie universelle.

Régénération
Pat Barker
Actes Sud
Traduit de l’anglais par
Jocelyne Gourand
329 pages, 158 FF