Livre après livre, influencé par l’importance accordée à la cuisine dans son univers romanesque et par la prolixité polygraphique du Catalan, le lecteur de Manuel Vásquez Montalbán finit par l’imaginer comme un ogre, une sorte d’Orson Welles. Contre toute attente, Vásquez Montalbán est un petit homme qui a le sens de la mesure. Il est sûr de lui. On le sent capable de parler de tout. Rien ne semble pouvoir arrêter sa capacité d’analyse. Une dialectique, qu’il ne plaque pas systématiquement de l’extérieur sur les choses mais qu’il sait retrouver en elles avec un véritable naturel, structure tout son discours.
Après le virtuose Moi, Franco cet hiver au Seuil, paraît chez Christian Bourgois le dix-septième et atypique roman de la série des Carvalho Sabotage olympique. Les deux romans datent de 1992 et donnent une idée de ce qu’est capable de mener de front Vásquez Montalbán même s’il semble évident que l’écriture de Sabotage olympique sous forme de feuilleton lui permettait de se distraire de l’écriture tendue de Moi, Franco.
Au début vous déclariez vouloir limiter la série des Carvalho à dix romans. Pourtant le dix-neuvième (Roldán, ni vivo ni muerto) est paru en Espagne cet hiver…
Quand j’ai commençé la série, j’ai dit qu’elle serait limitée. Je n’aimais pas l’idée de faire une longue série, une sorte d’industrie littéraire et j’ai respecté l’ordre que j’ai annonçé dans les années 74-75. J’ai bien écrit quelques petits romans de Carvalho qui ont été publiés dans les journaux, j’ai aussi écrit des nouvelles mais le projet général des longs romans a été respecté. J’ai fixé un certain rapport entre le temps biologique de Carvalho et le temps historique ou social : Carvalho deviendra un jour un vieillard et il ne pourra plus continuer comme privé. Je ne peux pas encore dire comment finira Carvalho mais j’ai déjà une petite idée. Je crois que j’écrirais encore deux longs romans de Carvalho et quelques nouvelles.
Vous dites souvent que, pour vous, le roman policier est avant tout un support technique. Le genre policier comme tel ne vous intéresse-t-il pas ?
Quelques romanciers policiers m’intéressent beaucoup : Hammet, Chandler, Chester Himes, Patricia Highsmith. Je crois que ce sont de grands écrivains. La poétique du roman policier m’intéresse parce qu’elle est un peu la poétique créée par le système capitaliste, le plus dur, le plus concurrent. Je crois que c’est une poétique créée par les Américains des années 20 à la suite de la grande dépression. C’est une nouvelle poétique, une poétique de la contradiction interne au système entre la loi et le délit, une contradiction très moderne, pas une contradiction de type romantique. Il faut attendre que l’Europe devienne un système comparable au système américain pour écrire un polar à l’européenne. Quand la culture, les rapports psychologiques, sociaux et économiques européens deviendront presque américains ce sera possible. En attendant on peut toujours...
Entretiens Manuel Vázquez Montalbán entre mémoire et désir
juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12
| par
Christophe David
Dans une Espagne qui rêve d’Europe pour oublier ses scandales politiques, Vásquez Montalbán poursuit, plus proche d’un Sciascia que d’un Chandler, sa comédie humaine de la transition démocratique.
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