Trois Derniers Jours de Fernando Pessoa, un délire
Celui qui écrit une biographie se confronte à une réalité délimitée par des faits tangibles avérés et balisés par un acte de naissance d’abord, de décès ensuite. Le biographe garde ainsi une distance salubre entre lui et son sujet et ce qui en sort, la biographie donc, reste dans le domaine du rationnel. Or, le rationnel, Antonio Tabucchi a tendance aujourd’hui à s’en méfier. Avec Requiem (Bourgois 1993), le narrateur ne dialoguait-il pas avec des fantômes, dont bien sûr Fernando Pessoa, poète si mythique pour l’auteur de Nocturne indien qu’un futur historien pourrait être amené un jour à considérer Tabucchi comme l’un des nombreux hétéronymes du Portugais. Bien qu’il ait fait l’aveu d’avoir d’une certaine manière tué en lui ce père spirituel (cf M.d.A. N°7), Tabucchi grâce aux hasards de la traduction nous offre aujourd’hui avec Les trois derniers Jours de Fernando Pessoa (1), une ultime (?) variation en forme d’hommage à l’auteur du Livre de l’Intranquillité. Dans un style d’une fluidité qui fait écho aux très émouvants dessins de Júlio Pomar, Antonio Tabucchi convoque chaque hétéronyme de Pessoa au chevet du poète mourant. Que Pessoa ait consacré toute sa vie, sacrifiant même son seul amour, à la littérature, lui confère, au final, la sérénité de celui dont l’œuvre perpétuera à jamais le souffle. Or peut-on faire la biographie d’un homme dont le souffle perdure ?
On retrouve le personnage de Pessoa, parmi les fantômes qui peuplent les Rêves de rêves (2) : Dédale, Ovide, Rimbaud, García Lorca, Freud, etc. Composé de textes courts, ce recueil, malgré la clarté limpide de chaque « rêve de rêve », ouvre des perspectives étourdissantes. Chaque récit est en effet un rêve (celui de Tabucchi) mettant en scène un autre rêve. La mise en abîme est d’autant plus étourdissante que de cet intime absolu (le rêve reflète l’inconscient), l’auteur tire une universalité qui nous assaille aussitôt. C’est dire qu’en quatre ou cinq pages, il parvient à faire sentir ce qu’une longue biographie essaierait de nous faire comprendre. A croire que du lieu où il nous écrit, Tabucchi est en relation avec les esprits.
(1) Le Seuil
traduit de l’italien
par Jean-Paul Manganaro
92 pages, 65 FF
(2) Christian Bourgois
traduit de l’italien
par Bernard Comment
162 pages, 90 F