Fisher naît en 1968 dans l’est déshérité de l’Angleterre ; une bourse lui permet de suivre des études supérieures, il écrit une thèse de philo sur le cyberpunk, s’inscrit dans la nébuleuse intellectuelle des cultural studies de l’université de Warwick, puis s’éloigne des espaces académiques, donne des cours du soir pour un college de formation continue, cofonde en 2009 la maison d’édition Zer0 books censée produire « un autre genre de discours », « intellectuel sans être universitaire, populaire sans être populiste ». Et tient, entre 2003 et 2015, son blog k-punk, conçu comme une « philosophie en cours d’élaboration sur le web ». C’est principalement ce work in progress, auxquels s’ajoutent articles et entretiens dans divers magazines, qui nourrit ce volume de presque 900 pages remarquablement traduites et annotées : pas d’exposé systématique, mais une ribambelle de textes classés par sections (livres, écrans, musique, écrits politiques…) qui communiquent et convergent selon un « va-et-vient entre la culture populaire et la théorie ».
Le sous-titre précise : « Fiction, musique et politique dans le capitalisme tardif ». Pour donner idée de cette mise en relation, et de la manière dont k-punk veut l’« intensifier », on peut partir de son commentaire des Fils de l’homme (2006) d’Alfonso Cuarón – film dit d’anticipation loué parce qu’il ne se contente pas d’imaginaires totalitaires éculés, mais se déduit rigoureusement du présent. Ici, pêle-mêle, les séductions du commerce s’accommodant de l’ultra-autoritarisme, quand « les camps d’internement côtoient les enseignes de Starbucks » ; l’État réduit à ses fonctions répressives et l’espace indéterminé des zones de guerre, de sorte que « Vous pourriez être n’importe où (…) : la Yougoslavie des années 1990, Bagdad dans les années 2000, la Palestine n’importe quand » ; des objets culturels comme enterrés dans le cimetière des commémorations, privés de puissance puisque « plus un regard neuf » ne se pose sur eux : « La tradition est nulle et non avenue quand elle n’est plus contestée et modifiée ». Voilà donc notre « crise », normalisée de sorte qu’on n’en voit même plus la lointaine origine : « Il n’y a pas de moment ponctuel qui serait le désastre : le monde ne prend pas fin dans un grand “boum”. Il s’estompe, se délite, s’effondre peu à peu ».
Dans son monde, Fisher distingue quand même un basculement : 1985, où les concerts de charité du Live Aid (à Wembley et Philadelphie) commencent à faire retentir un « faux consensus », alors même que la grève des mineurs vient d’être brutalement défaite, et avec elle tout le mouvement ouvrier britannique. S’ouvre alors, de Thatcher en Blair et dans la « paix factice » du New Labour, l’ère de la precarity, c’est-à-dire celle des privatisations et des coupes budgétaires ; celle des employés qu’on n’a libérés « de la servitude de l’usine fordiste » que pour les faire errer, désormais flexibles, « dans le désert » ; celle de la mise au pas des...
Essais Par où la sortie
Est-il aujourd’hui un dehors du capitalisme et de ses dépressions ? Dans une montagne de proses critiques, Mark Fisher s’emploie à « inventer le futur » : à la gauche du dancefloor, dans le « cœur mythographique de la culture populaire », et dans les parages des travaillistes (mais les bons jours).

