Businessmen, touristes, avocats, hauts gradés de l’armée, courtiers en diamants, un juge, etc. : tous se valent pour « Chicago May ». Au fond, c’est toujours le même gibier, qui lui offre un verre, qui ramasse le mouchoir qu’elle a laissé tomber, qui la secourt si elle se fait agresser (évidemment par un comparse), qui l’escorte jusqu’à sa chambre d’hôtel, il se croit irrésistible. C’est cet amant, homme public qui lui envoie des lettres truffées de « cochoncetés » qu’il ne voudrait pas voir divulguées. Tous ces mâles ne sont pour May Duignan – son nom irlandais de naissance – que des « gogos » à dépouiller, ce à quoi elle s’est employée tôt.
On a beaucoup écrit sur « La Reine de l’arnaque » comme le montre l’utile préface de Marie-Ève Thérenty à son autobiographie rédigée un an avant sa mort à 58 ans. Nuala O’Faolain lui a consacré un roman, L’Histoire de Chicago May (Sabine Wespieser, prix Femina 2006), basé sur une enquête très documentée qui corrige bien des rumeurs et approximations, y compris venant de May. De son vivant à Chicago, New York, Paris, Londres, des reporters, fascinés comme le furent les policiers qui l’arrêtaient et souvent la relâchaient par manque de preuves, forgèrent sa légende. Son livre, c’est sa vérité à elle. Elle s’irrite quand des petites délinquantes usurpent son nom de guerre, le ternissent par les forfaits médiocres que commettent ces femmes méprisables, « cocaïnomanes » et « indics », « balances », la lie du caniveau. Rien à voir avec la vraie Chicago May, aristocrate du vol, de la cambriole et du chantage, qui déclare avoir choisi « le champagne » plutôt que « des bières ». Mais s’être toujours refusée à la consommation de drogues, tout comme elle s’est interdit le meurtre même quand ça la démangeait, et de donner ses complices quand ça pouvait lui éviter la zonzon ou réduire sa peine, quinze piges au total.
Les sociologues seront déçus : une enfance heureuse en Irlande, des parents aisés et aimants, une scolarité de qualité. Mais elle fugue pour Londres, avec en poche une grosse somme volée à son père. De là, un bateau pour New York, après quoi le train vers le Nebraska, le ranch d’un oncle chez qui elle s’incruste. Elle rencontre dans un bal « Dal Churchill » de la « bande des Dalton » (sic). C’est l’amour et le début de sa carrière criminelle. Elle a 19 ans – et non pas 13 comme elle l’écrit, elle brode.
Son livre divise son CV sur le modèle du cursus scolaire. Un peu partout dans l’Ouest avec Dal, auprès des Dalton c’est « l’école primaire du crime » : des « razzias », des fermiers détroussés, une attaque de banque pour laquelle elle fait les repérages. Mais Dal meurt tragiquement, lynché. Elle file « veuve » à Chicago, y fait son « collège » dans des « bars à pickpockets » tenus par des femmes. On « y traine son pigeon » : « Si on réussissait à le faire entrer, la patronne vous aidait à le plumer ». En 1892 et 1893, l’Exposition universelle à Chicago lui est « une mine d’or » où soulager les caves de leurs dollars. Les affaires périclitant après l’Exposition, elle intègre le « lycée du crime à New York » qui fourmille de « pièges à pigeons » : des bars là encore mais aussi des hôtels, elle y excelle dans le vol et le chantage – « faux mari », « cloison amovible », photos compromettantes. Après quoi c’est « l’université de Londres », des combines encore. Et la prison. Elle y lit beaucoup, de tout : Mommsen, Emerson, Balzac, Brontë, Dickens, Hawthorne, etc. « Rien n’égale une prison pour lire, écrire, étudier et contempler ». En France, le fameux casse de l’American Express en équipe, des prisons encore. Puis l’Amérique du Sud. En tous ces lieux des amants, des coups fumants, du fric à flamber. Elle n’a peur de rien, comme ce jour où une rivale auprès de son amant d’alors lui vole son chien : elle fracasse sa porte « à coups de pieds » et récupère son bien, les flics l’approuvent.
Elle se range vers 1924. Des journaux new-yorkais la paient pour des articles. Elle écrit son autobiographie. Dès l’Introduction, elle parle vrai : « Le crime ne m’a jamais paru un péché. (…) Je n’ai jamais éprouvé de scrupules. Je n’ai jamais nourri de regrets, sauf quand j’étais prise ».
Jérôme Delclos
La Reine de l’arnaque, de Chicago May
Traduit de l’anglais par Thierry Beauchamp, Anacharsis, 345 pages, 24 €
Histoire littéraire Tableau de chasse aux pigeons
janvier 2025 | Le Matricule des Anges n°259
| par
Jérôme Delclos
May Duignan (1871-1929), alias « Chicago May », déroule sa vie criminelle trépidante. À interdire aux adolescentes à haut potentiel intellectuel.
Un livre
Tableau de chasse aux pigeons
Par
Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°259
, janvier 2025.

